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Food (and other series)

29 Nov - 17 Jan 2015
Vernissage le 29 Nov 2014

Martin Parr nous invite au sérieux du divertissement. Dans cette exposition, le photographe montre deux séries autour de Londres et Paris ainsi qu’un papier peint tapissant in situ les murs de l’espace. Ce papier peint, composé de 250 clichés ayant trait à la nourriture, met en perspective le flux constant et la volatilité des images dans le monde actuel.

Martin Parr
Food (& other series)

«Je crois beaucoup au caractère démocratique de la photographie, à sa capacité à être à la fois un medium populaire et un medium artistique.» (Martin Parr, Le Mélange des genres. Entretien avec Quentin Bajac, éd. Textuel, 2010.) Ce credo est la boussole du photographe Martin Parr, exposé dans les plus grands musées du monde et membre associé, depuis 1994, de la prestigieuse agence de photographes Magnum.

Anglais de naissance (1952) et mondial trotter de métier, il explore depuis plus de quarante ans le monde contemporain tel qu’il court, qu’il téléphone, qu’il consomme, qu’il malbouffe, qu’il supermarkette, qu’il se parc-à-thèmise… Martin Parr révèle mille et une facettes des stéréotypes de l’humain globalisé en nous invitant aux subtilités d’une palette de rires allant des plus joyeux aux plus grinçants. Rire dont il fait lui-même les frais dans ses autoportraits en anti-héros middle class.

Dans cette exposition, le photographe montre deux séries autour de Londres et Paris ainsi qu’un papier peint tapissant in situ les murs de l’espace. Ce papier peint, composé de 250 clichés ayant trait à la nourriture, met en perspective le flux constant et la volatilité des images dans le monde actuel. Cette œuvre est emblématique du désir de Martin Parr d’inventer des manières nouvelles de présenter ses photographies: dans les musées, le métro ou d’autres lieux publics mais aussi par des livres, des magazines, des fanzines; à ce jour, on dénombre quelque 130 publications.

Qui suis-je et où allons-nous? En regardant le papier peint et les tirages de l’exposition, la question devient brûlante pour chacun. Où court l’humanité? Pourrons-nous survivre à ces saucisses acides et à ces gâteaux fluorescents? Martin Parr utilise les couleurs de la propagande publicitaire pour lever le voile sur la folie de la démultiplication, sur les larsens de la décongélation et les reflets hasardeux du cellophane. Ces couleurs criardes sont une prise de position du photographe, une manière de témoigner de la réalité sans esthétisme.

Il faut se souvenir qu’il a d’abord photographié en noir et blanc et que, en 1982, il se «convertit à la couleur», devenant l’un des pionniers du courant de la Nouvelle photographie européenne en couleurs, qui se réclamait des coloristes américains tels William Eggleston et Stephen Shore.

La nourriture se révèle agent double: qui parle de vie alors qu’elle mène à trépas. L’usage du monde actuel doit être éclairé et Martin Parr le documente en collectant des images qui semblent être les pièces d’un puzzle infini. En attestent ses cadrages qui découpent la réalité plus qu’ils ne la circonscrivent. Voyez cette dame à l’élégance Chanel dont il ne reste qu’une main de chair sur talons aiguilles, le reste du corps étant laissé au hasard de la prochaine fois…

Cette photo est emblématique de l’outil rhétorique qui sous-tend le regard de Martin Parr: la métonymie, la partie pour le tout. Une parcelle photographiée élucidera l’ensemble du monde. Par conséquent, un cliché de Martin Parr — qu’il représente le tourisme de masse, le supermarché ou une foire d’art contemporain — parle de tous les humains.

Et s’il documente une époque bien précise — la nôtre —, son art rejoint par l’humour celui de Jérôme Bosch. Vers 1501, dans la Nef des fous, le peintre de génie met en scène le tiraillement humain, entre idéaux et réalité. La tête dans les étoiles, les pieds dans la boue… Si d’aucuns entrent dans cette fracture pour accabler l’humain, Martin Parr, lui, nous invite au sérieux du divertissement. En observant notre réalité par ce prisme, nous nous amusons mais pensons aussi inévitablement à ces mots du poète médiéval François Villon: «Frères humains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis.» (François Villon, Ballade des pendus, in Poésies, éd. Gallimard/Poésie, 1973.

Annabelle Gugnon

Vernissage
Samedi 29 novembre 2014

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