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Flûte !!!

PSmaranda Olcèse-Trifan
@05 Avr 2011

La proposition de la compagnie Dromosphère, à la frontière du théâtre, de la performance musicale et des arts visuels, distille une beauté fragile, qui s’installe en creux et travaille dans la durée : nous sommes encore sous son emprise !

Le titre dit déjà l’accident et fait référence, dans cette exclamation du langage trivial – Flûte !!! – à un manquement initial, réactualisé par le retour sur les lieux du protagoniste qui chante dans une rengaine désespérée la home sweet home. Le contraste est pleinement assumé entre la poétique radicale du texte écrit par Gianni Grégory Fornet et ces glissements vers la langue parlée, portés par une musique folk. Ces mêmes glissements ouvrent des failles dans un travail empreint par le minimalisme formel, laissant jaillir une subjectivité étouffée sous le poids du ressenti, une voix hystérique qui crie l’urgence : urgence à courir, à fuir, à se suicider et renaître, car …obsessionnelle, la chute y est omniprésente.

L’espace à géométrie variable de la grande salle de la Ménagerie de Verre se prête à merveille à la fiction flottante qui vient s’y déposer, dans un aller-retour incessant entre lieu fantasmé et réel. Cet espace est peuplé pour l’occasion d’une ribambelle d’animaux empaillés – incarnation desséchée d’innommables terreurs, sans doute une référence à la prose de Pascal Quignard : «Les terreurs ne ressemblent pas aux bêtes qui les provoquent. Les tristesses ne ressemblent pas à des mots». Cet espace se met à vibrer sur les accords de guitare folk joués par le jeune dramaturge. Ils accompagnent la déambulation trébuchante et fébrile de son interprète, Nicolas Richard. C’est un espace vide et paradoxalement trop chargé : le jadis – matière première et point de départ de ce projet qui trouve sa source dans une lecture éloignée de Sordidissimes de Pascal Quignard – le passé, la mémoire, charrient tout un cortège de reliques – « L’enfant resta seul à dire le nom des innombrables saletés qui lui restaient de l’enfance ». Des images mentales viennent s’agglutiner en couches épaisses, actualisées par cette voix perdue. L’invocation de l’enfance résonne de manière trouble dans le for intérieur de chacun des spectateurs.

La vidéo réalisée par la chorégraphe Régine Chopinot, abstraite, fixe ces impondérables dans le graphisme des gestes machinaux. Elle documente de manière presque tactile les automatismes moteurs générés par un espace familier, un certain appartement 42 à Macedo, l’errance du regard sur des détails banals du décorum de ce lieu réel, et inscrit, tel un séismographe intime, les soubresauts émotionnels à la vue de ces nuages kitch sur le papier peint vieillot et décrépi, la déflagration insensée de ces rayons de soleil à travers des vitres sales, à un moment précis de la journée avec sa lumière crépitante.

Le performeur se réapproprie l’espace tout en lenteur, les yeux bandés par une énorme éponge ménagère, dans une danse hésitante sur le fil tendu entre réflexes incorporés, voire hérités d’une mère au foyer à la traque compulsive de la moindre tâche, et sursauts d’étonnement, entre retro-projection et travail de deuil. La guitare favorise quelque part cet exorcisme, elle encourage l’avènement de cette voix perdue qui s’inscrit à même la dalle nue et froide de la Ménagerie de verre, mue en écriture. Et cette écriture remplit petit à petit l’espace, rampe sur les poutres, se niche dans les fissures des murs, blanc sur blanc, invisible et pourtant dense, vibrante.

― Mise en scène, texte et musique live : Gianni-Grégory Fornet
― Interprétation et collaboration artistique : Nicolas Richard
― Lumières : Maryse Gautier assistée de Véronique Bridier
― Scénographie : Bénédicte Jolys
― Son : Nicolas Barillot, Loïc Lachaize
― Vidéo : Régine Chopinot, João Garcia

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