L’exposition Fischli et Weiss est une réussite. C’est une rétrospective sans que l’accrochage soit chronologique. Elle permet d’appréhender en profondeur l’œuvre de ces deux artistes associés depuis 1979. Sculptures, installations, vidéos, photographies: c’est une démarche qui se déploie sous des aspects variés, réunis sous le trait constant de l’humour. C’est une œuvre généreuse, sans effet de manche, ni effet de mode. A suivre, dix entrées possibles dans le monde surprenant et joyeux de Fischli et Weiss.
Le simulacre
La question du trompe-l’œil traverse l’œuvre de Fischli et Weiss. La première salle de l’exposition est consacrée à une série de moulages en caoutchouc, d’objets naturels ou manufacturés. Une souche d’arbre en particulier, arrachée et couchée, trône au centre de la salle, posée sur un socle blanc. La gomme noire témoigne du moindre interstice de matière, de la plus infime déchirure végétale. La transposition trouble en même temps qu’elle intensifie l’expressivité du motif. L’idée de simulacre se retrouve dans la salle consacrée à l’atelier. De prime abord, les deux artistes semblent avoir reconstitué leur atelier dans le musée: palettes de bois superposées, seaux de peinture et pinceaux, cendriers et mégots, outils et jouets, divers objets et éléments mobiliers. Il faut beaucoup d’attention pour accepter l’idée que tout cela n’est que faux-semblant. Même effet dans la salle dite des Sculptures grises également en polyuréthane peint mais que l’on jurerait entièrement réalisée en terre.
L’équilibre
Porte-à -faux, contre poids, jambages, étais, jeux de calles, balanciers, chaises à bascule, échafaudages et engrenages: la sculpture de Fischli et Weiss tient du château de cartes. La célèbre vidéo intitulée Le cours des choses n’est qu’une succession de pertes d’équilibre, mises en scène pour les besoins d’un long travelling et arrangées dans un «véritable» faux plan séquence. Equilibre – Un après-midi tranquille: une série de photos d’objets usuels, associés dans des équilibres toujours plus précaires. Mais plus globalement, on peut dire que l’ensemble de l’œuvre tient sur la corde raide.
Le grotesque
Un accident de saucisses à roulettes, le voyage de deux clowns déguisés à travers des paysages sublimes, un verre de lait qui se renverse, un sac poubelle qui s’éventre, une roue de voiture qui part toute seule, des pétards de farces et attrapes qui propulsent des jouets d’enfant, une bouilloire qui explose, un ballon de baudruche qui se dégonfle: l’univers de Fischli et Weiss a quelque chose du grand guignol. C’est le burlesque pris très au sérieux.
Le cliché
Fischli et Weiss jouent sur les clichés et pas seulement les clichés photographiques. Les 8000 photos de voyages réunies dans Un Monde visible ne renient pas leur nature de cartes postales mais par effet d’accumulation, elles nous renvoient à une vision idyllique du monde sur lequel se fonde tout un marketing de l’exotisme. On y retrouve le kitch amusé de la série des Fleurs, Champignons. Entre le convenu et le dissonant, le spectaculaire et le déjà -vu, le bon goût et l’écoeurant, leur ligne iconographique se maintient donc «border line».
Le quotidien
Fischli et Weiss, c’est le charme de l’art domestique. Une râpe à fromage, un couteau de cuisine, un balai, une éponge, une table basse, un morceau de sucre, et le tour est joué. Le tour du monde comme de tour de l’atelier. C’est la vie de tous les jours qui se condense dans leurs arrangements. A sa façon, Le Cours des choses est une nature morte, une vanité. Un arrangement d’objets à l’image de notre quotidien et de son cours irrévocable, un enchaînement sans fin de relations de cause à effet par lequel on se laisse fasciner et dans lequel on se laisse prendre.
Le bricolage
Le Cours des choses: dans l’atelier correspond au making-off de la vidéo. On y voit les deux complices ajuster leurs effets, bricoler les éléments, vérifier les trajectoires, calculer les correspondances, etc. Deux gosses, deux apprentis sorciers qui testent au fil des jours leurs extravagantes inventions. Fous rires, excitation face au danger, expression de surprise, commentaires divers: c’est l’ambiance de l’atelier où progressivement s’élabore l’enchaînement. La préparation est méticuleuse. Tout se joue au quart de poil. Les assemblages eux sont rudimentaires, grossièrement bricolés. Ce qui compte, c’est que ça tombe pile. On retrouve cette sorte de rusticité des moyens dans Soudain, Cette Vue d’ensemble. La terre crue bien que finement modelée conserve son aspect brut. Fischli et Weiss concilient une véritable franchise et authenticité des moyens avec une grande subtilité des effets. Même remarque pour Le droit chemin, la vidéo loufoque – de prime abord – dans laquelle ils évoluent déguisés au sein d’un décor parfaitement sublime: leurs gestes maladroits, leurs expressions sans grâce, le caractère sommaire de leur relation, associés au caractère exceptionnel du contexte, révèlent un écart troublant et manifestement efficace.
La nature
Les œuvres de Fischli et Weiss demeurent très proches de la nature. Les matériaux bruts employés en témoignent comme la terre crue ou le caoutchouc des sculptures par exemple ou les multiples matérialités exploitées dans Le cours des choses (feu, eau, bois, métal, poudre, etc.). La nature se manifeste également comme l’atelier extérieur de Fischli et Weiss. Les photographies de la série Fleurs, Champignons et celles de Monde visible, comme le décor du Droit chemin le rappellent.
La dérision
L’humour teinte chacune des œuvres de Fischli et Weiss. La démarche n’est jamais très éloignée du calembour dadaïste, de la farce enfantine ou de la blague potache. Les titres en particulier soulignent cet esprit de dérision comme Mick Jagger et Brian Jones rentrant chez eux satisfaits après avoir composé «I can get no satisfaction» qui est le titre d’une sculpture en terre crue où l’on voit effectivement deux personnages grossièrement modelés marchant sur un trottoir et longeant un mur de brique. Les titres de la série Equilibre – Un après-midi tranquille qui met en scène des objets quotidien placés en équilibre sont également très imagés: Ben Hur, Le confessionnal, Le triomphe de la carotte, etc. Chaque sculpture est un nouveau numéro de cirque, une sorte d’acrobatie dérisoire. Le cours des choses produit également un effet comique incontestable: l’incongruité des objets et des matériaux, les coïncidences calculées, les écroulements et débâcles successives, les effets de surprises et de suspens sont autant de stratégies filmiques exerçant sur les spectateurs la même fascination, le même émerveillement qu’une fiction à la Buster Keaton. Le son a également son importance: bouillonnements, crépitements, explosions, bruits de chutes, de glissements et d’impacts divers. L’éclat de rire est assuré dans la salle.
Il y a pour conclure un air de famille entre Fischli et Weiss, et Deschamp et Makeïeff qui ne devrait échapper à personne. Ils ont en commun cette douce dérision, cet attachement au précaire, au faux pas, un même intérêt pour une certaine poésie du quotidien qui tient du presque rien et qui change presque tout.
Fischli et Weiss
— Sculptures en caoutchouc, 1986-1987. Différents formats.
— Fleurs, Champignons, 1997-1998. Série de photographies couleur.
— Soudain cette vue d’ensemble, 1981-2006. Série de petites sculptures en argile crue.
— Le Droit Chemin, 1982-1983. Projection vidéo.
— Les Saucisses, 1979. Série de photographies couleur.
— Le Cours des choses, 1986-1987. Projection vidéo.
— Le Cours des choses: dans l’atelier, 1985-1986. Projection vidéo.
— Equilibre – Un après-midi tranquille, 1984-1985. Série de photographies en couleur et en noir et blanc.
— Monde visible, 1987-2000. Série de 3000 photographies diffusées sur trois écrans de télévision.
— Ateliers, 1992-2000. Séries d’installations.
— Questions, 2002-2003. Projection de diapositives sur mur.
— Sculptures grises. Série de sculptures. Polyuréthane, étamine et peinture.
— Fotografias, 2004-2005. Série de photographies.