ART | CRITIQUE

Fleur fanatique

PYaël Hirsch
@12 Jan 2008

Axel Pahlavi se définit avant tout comme un peintre. Un peintre qui a attentivement regardé les grands maîtres (Grünewald, Rembrandt, Franz Hals, Tintoret, Goya, Dali, Bacon, et Baselitz) et qui est allé appendre en Bulgarie son art dans tout ce qu’il a de plus ardu et traditionnel.

Sur l’Autoportrait qui accueille le visiteur dans la galerie Eva Hober, l’artiste, qui protège son abdomen avec les attributs du peintre (le pinceau) se demande quelle est sa place. Quelle place prendre dans l’univers de la peinture au XXIe siècle? Surtout dans la peinture française…
Loin du petit monde de l’art contemporain français, qu’il estime exsangue car terriblement autoréférentiel, Alex Palhavi chemine seul et crée sur le fil ténu qui lie la foi au réel.

Né à Téhéran dont il est parti à l’âge de trois ans, fortement imprégné de culture catholique, vivant entre Nice et Sofia, Axel Pahlavi crée à partir d’un sentiment d’éternel exil. Sa forte conscience politique, nourrie de références à Star Wars et à la bande dessinée, forme le corps de la grande fresque historique qu’Axel Pahlavi dédie sous forme de triptyque à son pays, l’Iran dans Révolution.
Sur le panneau de gauche, le Shah et sa femme ont la prestance hyperréaliste d’un monde stable. Au centre, sous les auspices grimaçants des caricatures de Reagan et Valérie Giscard d’Estaing, une mutation intergalactique a lieu. A droite, la traversée vers les années 1980 est terminée. Khomeiny et les mollahs se réunissent autour d’un feu, en cercle préhistorique.

L’Histoire, son histoire, c’est la base, pour l’artiste, mais cette base ne suffit pas à apaiser la question qui le meut: «Comment être peintre aujourd’hui?».
La réponse semble venir des tréfonds de l’art pictural occidental: les stigmates du Christ. Axel Pahlavi dialogue avec ce qu’il appelle sa «schizophrénie», en s’attelant à figurer un ultime irreprésentable: la Résurrection du Sauveur.
L’artiste note avec raison que dans l’histoire de la peinture le thème de la résurrection est bien moins abordé que celui de la déposition. Comment imaginer la chair qui reprend ses couleurs? Comment faire voir ce que personne justement n’a vécu? Axel Pahlavi y parvient, semble-t-il, avec beaucoup de conviction.

Son Christ a les bras ouverts, mais un regard vide, introspectif, qui dégage la même solitude que les yeux du peintre dans l’autoportrait. Beau, et peint d’après modèle — ce qui est rare chez Pahlavi —, un visage minéral surmonte un corps expressionniste; un corps vu de l’intérieur, dans la matérialité de sa chair, de ses organes. La peau est rouge, plissée, l’œil globuleux. Le corps envahit le cadre de la toile jusqu’à le rendre arrondi. Et par-dessus, la toile est tatouée, comme un ultime cache-viscères, et aussi comme une référence à l’Orient. C’est dans cette direction que le peintre semble vouloir aller: la route solitaire de la peinture pure.

Mais ce n’est pas sans réfléchir sur son siècle que l’artiste se lance sur la voie escarpée et dangereuse de la peinture pure. La Cène qui jouxte la résurrection est peut-être le dernier moment pictural de distance critique qu’il met entre lui et son art. Les douze apôtres ont perdu leurs attributs traditionnels; et pourtant chacun a son identité, qui tient plus de l’histoire de la peinture que des évangiles. Encadrés dans douze petites toiles de taille égale, les disciples d’un Christ brillant par son absence ne sont que visages. Et pourtant, ces visages décollés expriment la souffrance de leurs corps martyrisés. Les membres, la peau et les organes se dévoilent sur la face, comme chez Francis Bacon.
Ces figures peintes et auréolées gravitent autour d’un clavier d’ordinateur brun sérigraphié à même le mur. En transformant la table du dernier dîner en ordinateur, Axel Pahlavi nous signale qu’il connaît son époque. Mais sa réponse à cette dématérialisation du monde — qui suit son désenchantement — demeure épaisse, charnue.

Plus que jamais au XXIe siècle, la palette de couleurs de l’artiste doit relier l’esprit à la chair. Fuir dans le concept en oubliant le corps imparfait, c’est se détourner et du monde et de l’homme. Tant qu’il y aura de vrais peintres comme Axel Pahlavi, nous pourrons continuer à conjurer la menace de l’oubli du réel.

Traducciòn española : Patricia Avena

Axel Pahlavi
— Révolution, 2006. Acrylique, huile, laque et aérosol sur toile. 200 x 560 cm.
— L’Autoportrait, 2006. Huile sur toile. 130 x 180 cm.
— Résurrection, 2006. Acrylique, huile, laque et aérosol sur toile. 140 x 180 cm.
— La Cène, détail de l’installation, 2006. Technique mixte. Dimensions variables.

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