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Figures. Travailler avec Germana Civera

Á l’écran, une femme nue, recroquevillée sur elle-même, se meut sous la dictée exigeante d’une voix — appartenant, de toute évidence, à celui qui la filme. Les mouvements qu’on lui demande d’effectuer ne sont pas identifiables, et s’apparentent davantage à une mimique faciale qu’à une gestuelle en tant que telle, guidée par une finalité précise.
Le plan fixe et le cadrage serré, choisis par Laurent Goldring, nous laissent ignorants du contexte spatio-temporel de la prise. Ainsi, la caméra déterritorialise le corps, et pour reprendre les mots de Gilles Deleuze, « l’élève à l’état d’entité ». En conséquences, le corps ne représente rien ni personne, il s’exprime dans sa plasticité première, dans sa réalité d’organisme vivant, mouvant, regardé pour lui-même.

Par la vidéo, donc, Laurent Goldring nous conduit à penser le corps différemment, à échapper aux pièges codifiés de la représentation. Dans ses portraits filmés, ses Figures, il reprend certaines des conventions formelles du genre : fond noir, visage de trois quarts, pose recherchée. Mais il se défait des implications esthétiques et psychologiques d’une telle démarche. Le visage perd de son pouvoir identitaire, son expressivité ne renvoie à aucun état d’âme. Le plasticien  entame alors un processus de désacralisation, qui fait du visage — image de l’âme d’après Cicéron — une partie du corps comme une autre, soumis à une gymnastique virtuose et absurde, presque comique.

Et tandis que, sur l’écran, ce visage désormais dédoublé continue de se mouvoir, la personne à qui il appartient, la chorégraphe Germana Civera, monte sur scène. Debout face à nous, elle raconte son histoire. Ses lèvres restent closes tandis que sa voix pré enregistrée relate en différé le récit de sa vie. Un décalage qui n’enlève rien à sa présence — au contraire — mais crée une impression d’irréalité, perturbe la cohérence temporelle de la scène, établit une mise à distance fictionnelle.

De quoi parle t-elle ? De son visage, encore, dessiné par sa sœur alitée (et qu’elle reconnaît à peine, une fois sur le papier). De celui de son amant, littéralement écrasé par un camion, créant une béance dans la mémoire. De l’identité. De la danse aussi, celle qui rend libre, celle qui s’immisce partout, dans les mots ou le silence, dans l’immobilité, dans la vie. Progressivement, on se laisse emporter par le récit comme s’il s’agissait d’un conte, fasciné par cette présence muette, terriblement vivante. On se laisse gagner par l’émotion, même si l’on ne comprend pas toujours les liens entre les images, les mots et les gestes, entre ce visage qui grimace sur l’écran et le souvenir des autres, rattachés à l’intime, à la construction de soi. En définitive, on préfère abandonner les conjectures et savourer le mystère de ce qui surgit en l’instant de cette rencontre entre la danse et les arts plastiques.
 

— Conception : Germana Civera et Laurent Goldring

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