Emmanuel Van der Meulen
Figures, fétiches
Pour concevoir son exposition au Château d’eau de Toulouse en 2013, Emmanuel Van der Meulen avait, selon une formule de Philippe Dagen, «laissé l’architecture lui conseiller ses formats.» (Le Monde, vendredi 24 mai 2013) Le choix des pièces pour «Figures, fétiches» relève d’une semblable intuition. Les dimensions et l’accrochage sont adaptés, pour ainsi dire ajustés, aux espaces disponibles.
«Le désir d’accentuer la confrontation avec le tableau» règle avec constance le dispositif d’agencement. Le cheminement du peintre vers son tableau peut nous inspirer une perspective de lecture: «aller au-delà de la reconnaissance de ce qu’il y a à voir sur le tableau» pour «en venir à l’expérience du tableau proprement dit».
Au cours de sa gestation, le tableau proprement dit s’allège: «il y a une nécessité vitale à proposer des espaces qui ne soient pas des espaces chargés d’intentions, d’événement, de faits de langage, mais qui soient plutôt des espaces vides ou des espaces vacants.» Cette manière d’envisager a contrario la constitution du tableau fait apparaître sa raison d’être et sa finalité: «Si les événements plastiques dans les tableaux sont marginalisés au sens propre, c’est-à -dire rejetés sur les marges, c’est bien pour signaler que cette vacance est le sujet du tableau.»
La vacance est un état et même une qualité. Le peintre Chang Shih (1844-1927) l’explicite par ces mots: «Sur le papier de trois pied carrés, la partie (visiblement) peinte n’en occupe que le tiers. Sur le reste du papier, il semble qu’il n’y ait point d’images; et pourtant, les images y ont une éminente existence. Ainsi, le Vide n’est pas le rien. Le Vide est tableau.». La transitivité confère au mot «vide» sa valeur: le vide désigne — manifeste hors de lui-même — quelque chose qui, sans lui, serait resté sinon caché, du moins invisible.
Sous ce jour, les Figures que mentionne le titre de l’exposition peuvent, dans le rapport qu’elles entretiennent avec l’absence, s’éprouver. «Au sein de leur absence, les œuvres sont en perpétuelle dissolution et en perpétuel mouvement, n’étant chacune qu’un repère du temps, un moment du tout, moment qui cependant voudrait, et désespérément, être à lui seul ce tout en quoi seulement l’absence se repose sans repos.» (Maurice Blanchot, Le Musée, l’Art et le Temps).
Le deuxième terme de la proposition, Fétiches, ne désigne probablement pas un report de l’affectivité sur un objet unique, mais quelque chose comme, dans l’acception lacanienne, un substitut de ce qui n’est pas vu. Telles des traces primitives, les «figures-fétiches» offrent à déchiffrer leur présence raffinée, entre l’éclat de leur apparition et leur effacement progressif dans le retrait.
L’exposition permet également de découvrir un aspect peu connu, sinon inédit, de l’œuvre d’Emmanuel Van der Meulen: un travail de recontextualisation d’images que l’on nomme habituellement collage. Par découpes et juxtapositions, des fragments de l’histoire (de l’art et d’autres horizons) se sont invités dans l’univers du peintre comme autant de contrepoints, d’écarts, de songes peut-être, qui entrelacent la pensée du tableau et la prolonge. Aux originaux se substitue une projection d’images, qui décale cette pratique comme «variante», conformément à l’étymologie: «chose identique à une autre mais présentée sous une autre forme».