La première édition du festival Extension Sauvage s’est déroulée samedi 30 juin et dimanche 1er juillet à Combourg et dans les jardins du château de La Ballue. Latifa Laâbissi inaugure la manifestation dans un non-lieu, ni terrain vague ni jardin public, mis à l’abri des constructions intempestives par la municipalité et qui semble être en attente de son usage. Lorsqu’elle coupe la balise rouge et blanche derrière laquelle s’assoient les spectateurs, elle annonce «Je déclare le paysage ouvert». A l’issue des deux jours de festival, cette déclaration préliminaire sonne comme une promesse tenue.
Peut-être est-ce la volonté de s’inscrire soi-même, d’inscrire sa relation à la danse dans un territoire qui explique la justesse de cette première édition. Depuis la rentrée 2011, la pratique et l’histoire de la danse ont pris place dans l’école primaire de la petite ville, les amateurs se voient offrir différents stages, tout cela en collaboration avec le Musée de la Danse et le Théâtre de poche de Hédé. Le festival lui-même s’ouvre dans la ville et son cinéma avant de s’installer chez Marie-Françoise et Alain Mathon, propriétaire du Château de La Ballue et partie prenante de l’initiative. Nous ne sommes pas ici face à une transplantation. Il ne s’agit pas seulement (et ce serait déjà beaucoup) de sortir la danse du théâtre, de l’engager à avoir lieu dans la nature ou de l’inviter dans l’espace rural. La danse doit être présente, se partager, “tirer sa force du lieu”.
Ce n’est donc pas le désir de confronter la danse et la nature (cf les films de danse, sur la relation du corps au paysage des années 20 à aujourd’hui, diffusés dans les salons du château ) ou même de la donner à voir sous forme de festival (cf Plastique Danse Flore à Versailles ou le Festival international des jardins de Chaumont sur Loire) qui donne sa place à ce nouveau festival mais bien la manière dont les deux termes de l’équation sont envisagés. Le paysage est considéré comme une interprétation d’un espace donné. A partir de là, les différentes entrées se dessinent.
Il sera question de danser pour un lieu, de créer une pièce à partir d’un paysage aussi bien que de mettre le corps en extérieur à l’occasion de créations ou de pièces du répertoire.
Les deux artistes présents pour l’ouverture du festival ont fait du paysage leur danse. Et les spectateurs-témoins ont la chance de voir deux lieux différents, l’espace découvert de la municipalité de Combourg puis le «bosquet de charmes avec vue» du château de La Ballue, guidés par les déplacements qui structurent Lande part de Laurent Pichaud. Le chorégraphe porte cette danse en lui depuis sa création en 2001 et la présente en différents paysages. Il ne s’agit pas de marquer le lieu de ses pas, d’imprimer la chorégraphie sur le lieu mais de danser dans ce lieu, pour ce lieu. Les gestes qui se succèdent sont les mêmes, le corps roule, s’enroule, court à quatre pattes, lève une des pattes ainsi créées, s’ébrouent et trouve un hors-champ à occuper. La danse conduit le regard, souligne ses lignes, ses masses, ses creux. Une écriture en pleins et en déliés qui ouvre véritablement le paysage comme on ouvrirait un livre, première réponse possible à la promesse de Latifa Laâbissi.
En écho à cette première rencontre, le cinéma diffuse Min Tanaka sur la route de la danse en Indonésie réalisé en 2007 par le japonais Katsumi Yutani. A la fois documentaire et œuvre formelle, le film montre comment Min Tanaka traverse un territoire et appelle ce territoire à le traverser. Le fondateur du body weather – que l’on pourrait traduire par météorologie du corps, un corps modifié en permanence par un système infini, qui lui est à la fois intérieur et extérieur- rappelle combien sa danse est due au lieu qui la voit naître. Nous le voyons travailler aux rizières, participer aux jeux des villageois, en provoquer d’autres, se laisser approcher par les animaux ou induire leurs mouvements. Il erre le long de différents paysages qui progressivement prennent possession de son corps.
A la fin de cette première journée, deux histoires se croisent déjà : danser pour et danser grâce à…
Le dimanche, rendez-vous dans les jardins du château de La Ballue avec deux pièces du répertoire dansées par Boris Charmatz et Emmanuelle Huynh: le duo du faune et de la grande nymphe extrait de L’après-midi d’un faune d’après Nijinski et Boléro 2, extrait de Trois boléros d’Odile Duboc et Françoise Michel.
Les deux chorégraphes-interprètes ont déjà plusieurs fois fait sortir ces pièces des lieux théâtraux pour lesquelles elles ont été conçue et les ont déjà dansé en extérieur. Ici, pas de terrain vague ou de paysage libéré mais un théâtre de verdure qui cadre, qui fait scène. Toutefois ces pièces pour espaces fermés s’aèrent
Étrangement l’espace ouvert attire le regard sur les corps, impose une relation intime. Les corps sont en quelque sorte rappelés à la nature tandis que les chants d’oiseaux pénètrent la bande son. Lorsque Daniel Linehan danse Not About Everything dans ce même espace, les coulisses disparaissent et le public forme naturellement un cercle autour du danseur dressé, selon la loi du cirque. Et celui qui ne cesse de tourner sur lui-même se retrouve au centre du cercle qu’il est en train de créer. Il n’y a plus alors de décor, pas même le paysage mais une attention accrue sur le corps et ses sursauts. Et la pièce, très applaudie, réussie sa première sortie.
Que peut-on dire de cette mise en contact entre des pièces du début du siècle précédent, de sa fin ou d’une création de 2007 et cette partie très dessinée du jardin?
Le lieu est un décor évident pour le faune et la nymphe, souligne tout à la fois le caractère mythologique et le hiératisme des poses. Ce même paysage libère Boléro 2 de son histoire ancienne ou plus récente et détache en quelque sorte l’érotisme qui s’en dégage des conditions spectaculaires. Enfin, Not About Everything gagne un caractère intemporel. Il ne s’agit donc pas seulement d’échos ou de contrastes mais d’un rapport différent entre ceux qui montrent et ceux qui regardent. Danser ailleurs… tout simplement.
Enfin, La dernière semaine de juin de Grand Magasin a été créée in-situ grâce à une semaine de résidence dans le jardin classique. Pascale Murtin et François Hiffler racontent, ils font apparaître le paysage par une suite de plaisanteries. Le public adossé à la façade du château est utilisé afin de multiplier les angles de vue «certains aperçoivent […] d’autres […]». Et ainsi, la création contextuelle est représentée: danser à partir de…
Le paysage a été ouvert autant que découvert dans cette première édition du festival Extension sauvage. La danse représentée dans ces différentes courants. L’histoire et la création ont été mêlée. A suivre…