Le duo de chorégraphes est connu pour son goût pour les formes mineures et populaires de la culture chorégraphique. La patience et l’application de l’historien et le penchant vers l’approche expérimentale de l’anthropologue de terrain se conjuguent dans une œuvre toute en couleurs qui essaime de petits bijoux à partir d’une danse de hula hoop — Duchesses (avec Marie Caroline Horminal) — ou encore des défilés survoltés de voguing — (M)IMOSA / Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (M) (avec Marlène Monteiro Freitas et Trajal Harrell).
Altered Natives Say Yes to Another Excess s’inscrit dans cette lignée, et le titre recèle une affirmation identitaire à travers un slogan aux sonorités de pom-pom girls.
Musique à fond, néons fluo qui courent dans les gradins, tags au gaffeur qui parsément d’écritures diverses le plateau, les deux MCs (Master of Ceremony) — assez réservés au demeurant —, tout concourt à donner à la Grande salle du Centre Pompidou les allures d’une boîte de nuit de l’East London.
Les cinq danseurs sont quant à eux absorbés dans des volutes et tournoiements, légers et obstinés, sur le plateau. Leur enthousiasme et leur énergie, aussi communicatifs soient-ils dans un premier temps, finissent par lasser. La note immersive de départ vire à la démonstration de virtuosité — show off dans tous les sens du terme.
Les interprètes paradent, séduisent, exhibent leurs talents. Le plaisir du mouvement crève les yeux, la dépense folle et une maîtrise certaine sont de mise. Outre la saveur un rien sulfureuse d’escapade dans l’atmosphère survoltée du monde de la nuit, cette proposition semble jouer la note de l’exotisme, le même que celui qu’ont dû avoir les Ballets Russes au début du XXe siècle.
Seul le point d’intérêt a changé: il s’agit maintenant des cultures populaires afro-caribéennes en Angleterre ou aux États-Unis. Les deux chorégraphes mobilisent un imaginaire hybride et il n’est pas impossible, au milieu d’un enchaînement, dans la vitesse de figures imposées — grand écart et autres exploits au sol —, au détour d’une pirouette, d’un port de tête ou de bras, d’une posture à la géométrie abstraite et exigeante, qu’une certaine légèreté contrastant de manière saisissante et féconde avec les rythmes des basses syncopées de DJ londoniens nous fassent penser à d’anciennes égéries de l’Opéra de Paris.
Alliages raffinés de sensualité charnelle et d’une excellente technique de danseur, les soli de François Chaignaud et Elisa Yvelin permettent ainsi des fulgurances anachroniques et surprenantes. En se laissant emporter par l’exubérance à tout va qui règne sur scène, nous pourrions nous exclamer: quel magnifique spectacle post-néo-classique! Le terme n’existe pas, mais peu importe!
Les quelques soupçons de rémanences et tics des danses libres sont balayés par la force brute, irrévérencieuse du Twerk. Renouant, d’une certaine manière, avec une veine de recherche explorée aux débuts de leur collaboration avec Pâquerette (2008), François Chaignaud et Cecilia Bengolea plongent la tête en avant — l’arrière suit dans des secousses et trémoussements aux rythmes les plus divers — dans la mode du Twerk.
La séquence est savoureuse, incongrue, résolument trop longue. Le matériau physique s’avère pauvre, toute tentative de le chorégraphier s’épuise rapidement, sous le coup de la répétition. Mais il faut saluer dans cette obstination la prise de risque, taraudée par une véritable problématique anthropologique et esthétique. L’imaginaire créatif semble pris dans une impasse, la force primaire, féroce de ces mouvements du bassin le vampirise littéralement. La réponse est pour l’instant décevante mais une question passionnante est posée.