DANSE | SPECTACLE

Festival d’automne. Adieu et merci

PMarie Juliette Verga
@26 Nov 2013

Dans le cadre du Festival d'Automne, le Centre Pompidou présente le puissant solo Adieu et merci de Latifa Laâbissi. Réflexion sur un rituel incontournable, Adieu et merci parvient aisément à dépasser la dissertation théorique et convoque l'épaisseur temporelle de la scène de théâtre.

La pièce est contenue toute entière dans la simplicité et la force de son dispositif. Un écrin composé par la scénographe Nadia Lauro, le musicien Marcel Coursin et le magicien Yves Godin accueille toute la précision et la dérision chorégraphique dont nous abreuve Adieu et merci. La pièce s’ouvre sur un rideau immense et majestueux, pourpre comme le pouvoir. Tel un personnage symbolique qui incarnerait la pompe du théâtre, il reçoit à ses pieds Latifa Laâbissi en robe de gala, taillée dans le même tissu. Il sera un partenaire, accueillera la danseuse qui s’y blottit, l’entourera lentement, la dévoilera…

La danseuse apparaît barbue, vision hermaphrodite, image de toute l’histoire du théâtre, de toutes ses géographies. Longtemps en effet, la femme fut jouée par des hommes. La tradition japonaise, Nô et Kabuki, forme ses comédiens spécialisés —les onnagata— tandis que le théâtre français du Moyen-Age comme le théâtre élisabéthain refuse aux femmes le droit d’être sur scène. Elle élève les bras en couronne, tragédienne sublime, avant de les déformer en un geste plus proche de la danse Butô. Toute l’intensité de la pièce est déjà là, prise dans ce geste en mutation, dans l’ambiguïté entre la présence immédiate et la multiplicité des corps-empruntés.

Sans doute qu’en s’attachant au motif du salut, Latifa Laâbissi savait qu’elle faisait une traversée temporelle. Peut-être imaginait-elle déjà la force émotionnelle que cela allait engendrer. La confirmation si cela est encore nécessaire qu’une belle idée peut émouvoir. Avec ce même titre, Mary Wigman —grande prêtresse de la danse expressionniste— voulait faire son dernier tour de piste, quitter la représentation. A la suite de L. Laâbissi, nous nous demandons: Que quittent les interprètes lorsqu’ils quittent la scène? Dans ce moment pris entre réel et fiction, n’est-il pas uniquement question de seuil, de passage entre les mondes?

Et c’est ici que se situe à le tour de force de Latifa Laâbissi: elle parvient à s’établir entre deux eaux, dans une zone floue, entre présence immédiate et incarnation d’un personnage. Elle devient légion, incorpore Kazuo Ono, Mary Wigman, Valeska Gert, les politiques qui haranguent la foule, Maria Callas, les sportifs au podium, Sarah Bernhardt et tant d’autres… que l’on perd pied, étourdis par le nombre. Quand elle revient nue, ce sont d’autres corps qui apparaissent, les joyeuses élèves de R. Laban, Salomé dans sa danse de désir et de mort, les danseuses exotiques des revues d’autrefois, d’autres encore.
Palimpseste brillant, Adieu et merci est un mélange instable et parfaitement maîtrisé. Après 50 minutes à emprunter à mille saluts passés, Latifa Laâbissi nous laisse enchantés et privés d’un dernier salut, le sien. Merci et à très vite.

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