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Festival Automne en Normandie. Continu

Le Festival d’Automne en Normandie a choisit cette année un thème tout à la fois pertinent et risqué: Masculin/Féminin. Il s’agit d’interroger «l’identité sexuelle d’une espèce humain bousculée par les évolutions de sa société». Le risque est assez grand de simplement dérouler la liste des artistes contemporains capables de questionner la sexualité. En faisant le choix de multiplier les entrées dans le thème, le Festival parvient toutefois à éviter le piège. Le choix de Continu de Sasha Waltz en est une illustration intéressante.

Sasha Waltz est une des chorégraphes les plus importantes de la décennie passée. Installée à Berlin, sa compagnie est un lieu d’échanges et d’engagements forts. Des danseurs venus du monde entier y expérimentent, invités au partage de leur danse. La force de ses compositions chorégraphiques tient tout à fois de choix esthétiques précis –fresques érotiques, compositions charnelles plastiques, opus dramatiques– d’une danse d’énergie et d’une gestuelle inventive.

Pas de grands effets théâtraux dans Continu. La pièce tire son matériau chorégraphique du projet Dialog 09, travail in-situ dans le Neues Museum et le MAXXI de Rome. Un musée des civilisations première et un musée de l’art du 21ème siècle. C’est chargés de forces primitives et de violences actuelles que les corps occupent la scène du théâtre, boîte noire sur trois côtés, dont la seule sortie est la face, contraignant ainsi les interprètes à échapper par l’avant-scène.

La première partie débute avec Concret PH et Rebonds B de I. Xenakis joués live par la percussionniste Robyn Schulkowsky. Elle et sept danseurs isolés qui peu à peu forment des groupes épars dont des solistes surgissent avent d’être englobé par un groupe qui les soulève, les déplace. De tressautements en courbes, les corps oscillent entre agitation et bercement. Hors de toute violence, la masse semble plutôt être capable de réunir, d’entourer.

Ensuite, une ligne de fond de scène se créé, les danseurs avancent mains au sol, avec ces petits changements corporels, ces images déformées créées à partir de presque rien que l’on retrouve dans toutes les pièces de Sasha Waltz. Un mouvement interne agite le groupe, deux danseurs en échappent les autres sont retenus par un homme seul qui fait barrage de son corps. L’Arcana d’Edgar Varèse emplit l’espace et l’on ne peut que penser au Sacre du printemps. Lorsqu’un homme s’extrait, court, joue de ses bras et saute sur le mur; fuit-il le groupe? Choisit-il simplement d’en sortir parce qu’il le peut et qu’il pourra revenir? Les rapports complexes du groupe à l’individu sont une ligne de recherche clairement identifiée dans la danse contemporaine. Ce qui rend le travail de la compagnie Sasha Waltz & Guests remarquable c’est la richesse des propositions qui illustrent l’infini des possibles en la matière. Le groupe se fragmente en couples, couples d’hommes, de femmes, couples mixtes. Les portées et les emmêlements des corps parviennent le tour de force d’être organiques et lisibles. On ne sait pas toujours s’ils se battent, si celui qui vient rejoindre l’autre le contraint ou l’accompagne mais toutes les situations sont provisoires. Aucune violence n’est arrêtée comme vérité des rapports humains.
A la fin de cette partie, un peloton d’exécution est érigé. Un danseur seul crie «pan» à intervalle régulier. Des corps s’effondrent, d’autres demeurent debout. Un couple sort du rang et danse, l’un avec l’autre, l’un dans les lignes de l’autre. Puis l’homme tombe. La danseuse prend plus d’espace, s’éloigne du groupe au sol, tournoie et s’allonge, lentement. Dans le rang, un homme est toujours là et il ne quitte pas le crieur des yeux. Ensemble ils vont courir autour des corps, partageant la folie du résultat.
Ils fuiront la scène en sautant dans la salle, parce qu’il s’agit de la sortie la plus rapide, parce que la pièce est plus grande que le plateau.

La troisième partie réécrit l’histoire. Le sol est blanc. Une danseuse immobile fait face. Elle semble se rétracter, entrer en elle-même. Tout est dit sans un mot. Car une des choses les plus marquantes chez les interprètes de la compagnie est leur capacité à dire mêler virtuosité physique et qualité de jeu. D’un regard, d’une contraction musculaire, d’un porté amenant l’autre à marcher sur les murs l’adresse est totale. Tel un chÅ“ur archaïque, ils disent le mouvement perpétuel d’attraction et de mise à distance. La pièce ose une fin. Deux danseuses aux pieds maculés de noir et d’ocre rouge ont tracé leur danse d’approche et d’éloignement sur le sol. Un danseur a tracé un arc de cercle, directement, au fusain. Un groupe se glisse dans le fond, soulève le sol, leurs seules mains visibles. Un interprète demeure dessus, soulève un angle et fait voler la toile qui se referme sur lui. Les multiples figures du corps social semblent y avoir laisser un code à déchiffre, une abstraction chargée d’affect, des trajectoires vidées de sens : une représentation énigmatique de l’existence collective.

Que dit Continu du Masculin/Féminin? Elle en dit l’identique. Dans le groupe chacun prend un même geste à son compte, un geste qui diffère selon les gens, pas selon les genres. Presque sans y penser la pièce expose que chacun est unique, comme tout le monde. Les couples qui se forment un instant ne sont jamais hétéronormés, les rapports de force non plus. Lorsque le groupe est accordé, il forme une masse dont se dégage une force calme, une énergie sans tentation fasciste, une puissance très loin des défilés militaires. Sans angélisme et en laissant venir du plus profond des âges les affrontements inévitables, Continu apparaît comme un plaidoyer pour l’en-commun, une poétique de groupe. Pulsions de vie et de mort sont à l’œuvre, qui ose faire acte de cosmologie.

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