Comment évoluent les femmeusesactions depuis 2004, cet autoportrait protéiforme, tentaculaire, né des suites de l’atelier Drag King de la philosophe du genre Beatriz Preciado?
«Femmeuse m’a tuer», conclut d’entrée de jeu Cécile Proust par l’intermédiaire d’un des nombreux écrans disposés en vrac sur la scène. «Femmeuse» is innocent, mais bouc émissaire quand même! Subversif mais bon enfant à travers ses déguisements de pacotille: masque de gorille, de batman, tenue de gladiateur aux pectoraux ciselés, paire de faux seins, sex-toys que l’interprète-victime-maîtresse dominatrice laisse vibrer sur une table… Plus loin, elle s’adonne à un jeu de construction en bois, édifices précaires illustrant des théories fumeuses — et non pas femmeuses! — interprétées en playback, des spéculations théoriques pédantes qui menacent de s’effondrer.
La pièce est un «autoportrait pamphlétaire», comme le définit elle même Cécile Proust, qui se sert de l’emphase comme d’un fouet. Un tableau enrichi depuis 2004 énumère de façon grotesque les catégories sexuelles dans lesquelles chacun peut se retrouver ou cataloguer ses proches: butch soft, rabbin orthodoxe gai, viril soumis, lesbienne randonneuse et végétarienne, femme cougar ou chauve-souris. On retrouve justement Cécile Proust en batwoman, oratrice sur pupitre, mais un peu trop loin du public cette fois. On aurait préféré se prendre en pleine face ses provocations musclées, sentir l’extrêmité de ses «coups de fouet», être au plus près de sa pétillante agressivité… mais dans les gradins de la Ménagerie de verre, on l’entend à peine. Heureusement, qu’elle vient de front offrir au public ses «packing», ses enveloppes déjà présentes en 2008 contenant un gode en kit que le public est invité à enfiler dans son pantalon, soit pour «aller voir un match» soit pour «sentir que l’espace public vous appartient»…
Avec Cécile Proust, le collectif semble désormais l’emporter sur le personnel. Son autoportrait se nourrit de plus en plus de la présence des autres, théoriciens et artistes qu’elle convie dans ses Femmeusesuites. Comme ce soir Zahia Rahmani, la charismatique écrivaine et historienne de l’art qui se produit dans une émouvante lecture-performance intitulée Muslim, Feminism and I. Ou la veille encore, le chorégraphe François Chaignaud avec sa sélection de films pornographiques et subversifs.
En orbite toujours, gravitent plusieurs écrans diffusant des vidéos assemblées, mixées et mises en scène par Jacques Heopffner, son complice de longue date, autour d’un angle particulier du féminisme et de la sexualité, des images d’archives (Martha Rosler, Carole Roussopoulos du FHAR) ou des Å“uvres récentes d’artistes. L’iranienne Ghazel, par exemple, qui réalise dans Me (2003-2008) une suite de sketches burlesques autour de son autoportrait en femme voilée ou Takako Yabuki et ses hommes objets…
Cécile Proust a toujours cherché des lignes de fuite pour sortir du piège de la boîte noire, de la magie théâtrale, pour échapper à son rôle de danseur-interprète (Odile Duboc, Alain Buffard, Daniel Larrieu, Thierry Niang…), pour faire éclater le genre théâtral tout en fouettant le genre humain. C’est un plaisir de la voir s’adonner à une danse de gorille orientale, à l’érotisme surjoué par le feulement animal sur fond électrique de néons agglomérés. «Frustrée, dit-elle dans un entretien pour parisART, «par la pratique d’une danse non genrée, celle de Merce Cunningham ou encore de Claude Brumachon, de François Verret…» Une liberté entre le personnel et le politique à laquelle on aimerait s’accoutumer plus souvent…
— Durée: 55 minutes (Femmeusesuite: 60 minutes)
— De et avec: Cécile Proust
— Artiste associé et scénographie numérique: Jacques Hoepffner
— Régie lumières : Jean-Michel Hugo
— Plateau: Lynda Rahal
— Invitées pour les Femmeusesuites: Zahia Rahmani et François Chaignaud
Après chaque spectacle:
La soirée du 25 nov: visite de l’installation
La soirée du 26 nov: performance de François Chaignaud (danseur et chorégraphe) sur la question de la subversion dans le porno
La soirée du 27 nov: performance de Zahia Rahmani (écrivaine et théoricienne de l’art, dirige le programme «art et mondialisation» à l’INHA)