Devant le Studio 3, l’habituel programme distribué en dit long sur la soirée à venir. Une curieuse enveloppe volumineuse, maculée d’une auréole grasse, rebute au premier abord. Un message délivre quelques consignes astreignantes « À garder précieusement dans la main. Ne pas ouvrir avant qu’on vous le dise ».
En l’ouvrant « avant qu’on vous le dise », on aperçoit un étonnant morceau de coton, peut-être dédié à l’évocation du cycle menstruel féminin. Un sachet de préservatif entrouvert permet de comprendre l’origine de l’auréole grasse. Sur la feuille de papier dépliée est rédigé un contrat sadomasochiste à remplir, dont voici un extrait :
« De mon propre gré, je soussigné(e) ………………… renonce à ma condition naturelle d’homme ou de femme et à tout privilège (social, économique, patrimonial) […]. Je me reconnais comme étant un producteur de godes et comme un translateur et diffuseur de godes sur mon propre corps et sur tout autre corps qui signera ce contrat. […] Je me reconnais comme étant un trou du cul et comme travailleur du cul. »
Le spectateur, qui ne connaît peut-être pas le Manifeste contra-sexuel de Beatriz Preciado dont est issu ce passage, pressent immédiatement que la chorégraphe cherchera à tester ses résistances personnelles concernant le domaine intime de sa sexualité.
Les portes se ferment, la lumière s’éteint, des écrans visionnent une sorte de générique avec différents personnages dont la philosophe Laurence Louppe et Cécile Proust, bien sûr… Un autre écran rappelle le contexte de la résidence au Centre national de la danse, de la réalisation du dossier à la défense orale du projet lors d’un entretien fictif. L’accélération des séquences au montage rend hommage au verbiage pompeux artistico-administratif de la production des dossiers en général.
Silence. La lumière se rallume.
Cécile Proust entre en scène de façon magistrale, le pas assuré et combatif. Elle s’installe avec prestance et autorité, à un bureau, au plus près de l’assemblée de spectateurs. Dans son rôle de mi-« Maîtresse » mi-maître de conférence, elle dégaine outrancieusement un martinet en lieu et place d’un stylo et un godemichet en lieu et place d’un micro.
Doctement, elle entame une conférence sur les origines de sa vocation de femmeuses, citation d’ouvrages scientifiques et déguisements à l’appui, en voguant d’un pupitre ou d’un micro à l’autre et en jetant violemment les ouvrages précités. Puis, munie d’une coiffe de chauve-souris, elle expose son parcours d’étudiante déstabilisée à l’université Paris VIII, ses professeurs telle Beatriz Preciado, qui aurait organisé des ateliers « Drag King » pour les élèves les plus avancés.
Déguisée ensuite en légionnaire, armée d’une paire de faux seins, Cécile Proust explique en se déhanchant, selon une technique de danse traditionnelle orientale, et sur fond musical de boîte de nuit, que ces ateliers pratiques consistaient à se définir du point de vue de sa sexualité et de son genre.
Après plusieurs hypothèses, elle aurait ainsi abouti à cette conclusion : « lesbienne qui couche avec les hommes, enfin surtout un » la rapprochant fortement de la personnalité de Marcel Proust qui apparaît soudain sur fond d’écran.
Cécile Proust disparaît, une vidéo prend la relève. Cette dernière délivre le contenant d’une commande d’Elisabeth Lebovici passée à femmeuses, suite à l’entretien controversé entre Christine Macel, Bustamante et Xavier Veilhan, publié en 2005 dans la monographie Bustamante, peu après l’exposition Dionysiac au Centre Pompidou.
Dans cette performance filmée, Cécile Proust, coiffée de perruques colorées et de pancartes, cite et mime les passages sexistes les plus relevés de l’échange entre les trois protagonistes : « Les hommes prennent des risques beaucoup plus importants » ou encore « C’est-à-dire qu’elles (les femmes artistes) ont du mal à tenir la distance ». Puis la réplique de Christine Macel, niaisement interprétée « En fait, vous confirmez mes pires soupçons, ça me déprime ! »
Plus tard, Cécile Proust, recouverte d’un masque de singe, danse furieusement cette technique de danse orientale qui lui est propre, devant une bande passante textuelle récapitulant les faits marquants de l’histoire récente des femmes : les atrocités dont elles ont été victimes, la liste des martyres de la cause féministe, les lois iniques et révoltantes concernant le viol, le nombre de femmes mortes en France par jour sous les coups des violences conjugales…
La liste s’avère inépuisable, Cécile Proust ne s’arrête pas de danser avec son masque de singe, le volume sonore semble s’intensifier. Climax. Le spectacle s’arrête net et le visiteur est invité à visiter la scène/exposition et à contempler des vidéos passionnantes de Jacques Hoepffner, dont une particulièrement touchante sur des jeunes femmes japonaises qui choisissent de vivre avec un mannequin homme, plutôt qu’avec un homme véritable.
Solo de Cécile Proust
— Scénographie : Jacques Hoepffner
— Réalisation sonore : Jacques Hoepffner