Martin Mc Nulty et Raphaël de Villers
Felix Culpa
Le titre de l’exposition est emprunté à Saint-Augustin, qui, lors d’un prêche, s’exclame O felix Culpa! La notion de «faute heureuse» apparaît comme un point de relation entre les pratiques de Martin McNulty (né en 1966, en Angleterre) et de Raphaël de Villers (né en 1969, en France). Chacun à leur manière, ils empoignent, modèlent, sculptent et travaillent la matière. L’accident et le hasard jouent un rôle inévitable et souhaité dans leurs processus créatifs respectifs.
Martin McNulty plie, casse, broie différents matériaux (résines, plastiques, carton), puis recouvre l’objet de peinture et/ou de paillettes colorées. Il produit des météorites scintillantes, des cristaux comme pris dans la glace ou des roches translucides semblant provenir d’une planète lointaine.
Depuis 2008, Raphaël de Villers pratique la céramique. Du four sortent des créatures oscillant entre figures identifiables et silhouettes informes. La terre est couverte d’émaux différents, appliqués de manière instinctive. Au cœur d’un territoire expressionniste, brutal et physique, les deux artistes partagent une réflexion sur la matière, le geste, la couleur, la lumière et l’espace.
«Felix Culpa» est le résultat d’une rencontre entre deux univers motivés par un renouvellement des formes. Si le dialogue gestuel et physique fait sens, la culture d’une tension entre les deux pratiques est aussi instaurée. Raphaël de Villers parle d’une «menace» qui viendrait exacerber la dimension tellurique des œuvres céramique et souligner le caractère interstellaire des œuvres fluorescentes et scintillantes de Martin McNulty. Un rapport de forces est invoqué, la terre et le cosmos interagissent. Avec un besoin constant de générer de nouvelles formes, de faire éclater la couleur et la matière, les deux artistes travaillent l’accident et le chaos.
Au départ, Raphaël de Villers manipule et assemble des matériaux pauvres: boîtes à œufs, grillages, papier mâché. Un travail qui ne lui permet pas pleinement d’utiliser et d’explorer la couleur. Depuis une dizaine d’années, il apprivoise l’art de la céramique: le modelage, le tournage et l’émaillage. Chaque année, il se rend en Chine pour travailler dans des ateliers de porcelaine où le sériel côtoie l’artisanal. L’artiste s’imprègne ainsi de la culture chinoise riche d’une tradition céramique millénaire et de savoir-faire spécifiques qu’il s’emploie à hybrider avec son imaginaire flamboyant et proliférant. La céramique lui permet de combiner le volume et la peinture.
La générosité chromatique des émaux met en lumière l’abondance des détails et participe à la lecture des formes. Les gestes et la couleur figurent et défigurent les silhouettes monstrueuses. Raphaël de Villers déploie un imaginaire riche et troublant, où l’animal se fond avec le minéral, l’humain est conjugué avec le végétal.
Des croisements formels et matériels identifiables dans l’œuvre protéiforme de Martin McNulty. Depuis une dizaine d’années, l’artiste produit des objets non identifiés, des volumes dont les dimensions varient entre 2 et 40 cm, sans socle, ni haut, ni bas. Les constellations colorées jouissent d’une liberté totale dans l’espace: suspendues à des fils, accrochées aux murs, disposées au sol ou encore posées sur un socle. Tout est permis.
Les objets informes sont principalement réalisés à partir de résines teintées et de matériaux abandonnés. Ils sont ensuite ciselés, peints et saupoudrés de paillettes. Les gangues de résine emprisonnent d’autres matières. La découpe s’apparente à celle d’une roche ancienne dont la chair serait rythmée de strates aux couleurs et aux textures plurielles. Les objets, nés du dessin ou de l’accident, s’emparent joyeusement de l’espace. Héritier de Warhol et de Malaval, Martin McNulty refuse la posture autoritaire, il libère les formes en déployant un univers insolent, réjouissant et trash.
Commissariat: Julie Crenn