Jean-Luc Blanc
Faux Roman Visage
On le dit généreux, fidèle, entier, amasseur, étrange, limite… mais connaît-on vraiment Jean-Luc Blanc? On sait qu’il accumule, trie et classe des centaines d’images provenant de magazines, revues et autres supports médiatiques allant des années 70 à nos jours, se constituant une sorte de banque de données toujours en mouvement et intemporelle, bien réelle dans une ère pourtant régie par Wikipedia ou Google.
Les images sommeillent, décantent puis un jour, l’une d’entre elles se révèle à l’artiste. De ces images somme toutes banales, galvaudées voire vulgaires, sorte de symboles d’une société décadente, vont naître des images nouvelles. L’image choisie n’est plus la simple reproduction sur papier glacé sans qualité plastique évidente de quelqu’un à un instant «T», mais elle devient le fil conducteur d’une autre histoire; une histoire qui se déroule dans un contexte en perpétuel évolution et qui participe à la création de nouvelles formes de la conscience tragique.
Afin d’appréhender le travail de Jean-Luc Blanc, il est nécessaire de s’interroger sur la place occupée par l’image et plus précisément par la figure humaine. La façon dont l’artiste la traite tant dans le choix des coloris que dans la facture parfois brutale, lui permet de proposer une sorte de désubjectivisation de ce procédé qu’est la fabrication de l’image aujourd’hui. L’image, qu’il s’agisse d’icône du 15ème siècle ou d’image d’un tabloïd contemporain, appartient à tout le monde et en même temps à personne, elle est là , bien que triviale aujourd’hui et certainement moins auréolée de mysticisme pour «nous parler et susciter des désirs»( cf. Jean-Luc Blanc in Conversation with Marie Maertens, in Annual, Vol.5, 2012, pp.152-154), mais de quels désirs parle t-on?
Dans son travail effectué sur l’image, Jean-Luc Blanc redéfinit cette idée de désir ou d’envie en distanciant son sujet et en introduisant une notion d’absurde qui va lui permettre de modifier non seulement l’aspect tragique de cette vaste entreprise qu’est la surmédiatisation et l’abêtissement de la société mais aussi, via le comique ou le cynisme d’exprimer cette nouvelle forme de malaise sociétal et les troubles de l’être humain qui en découlent. Absurdité, désarroi, disgrâce d’une époque certes, mais l’image a une valeur symbolique dans le travail de Jean-Luc Blanc car elle permet une disjonction entre ce que l’on voit et ce que l’on ressent.
Plus qu’une représentation fidèle à une personne, il s’agit davantage d’un moment où le temps s’arrête et où tout peut basculer; la mère de famille dont la vie est réglée comme du papier à musique et s’écoule en une lente mélodie ou agonie c’est selon… va prendre un couteau et égorger son mari, le serial killer va finalement passer à l’acte, le chasseur va mettre en joue sa proie passant de promeneur bucolique à assassin.
Cette idée de basculement, d’instant où le cours des choses jusqu’ici calme est bouleversé, rappelle que le travail de Jean-Luc Blanc s’articule aussi autour de la notion de temps. Marguerite Duras mettait des points de suspensions, utilisait des anaphores pour signaler la domination prééminente et inéluctable du temps sur les êtres humains. Jean-Luc Blanc, lui, inscrit ses personnages dans une temporalité lente et répétitive ponctuée par les coups de pinceaux portés sur la toile. Les allers et retours, les retouches ou ajouts sont nombreux et la finitude d’une œuvre n’est ainsi jamais vraiment déterminée.
«Faux-roman visage» est une exposition qui disloque ses protagonistes, elle est l’expression que peindre ou dessiner chez Jean-Luc Blanc est intimement liée aux expériences et modes de vie de chacun, c’est-à -dire qu’elle relève davantage de nos sensations et d’une narration finalement personnelle que d’un fil conducteur parfaitement établi. Les personnages de Jean-Luc Blanc sont tels les pellicules d’un film, on peut les lire de droite à gauche, les mettre sur pause, les faire revenir en arrière, leur inventer un futur, les retoucher; ces œuvres à mi-chemin entre palimpseste et objet fictionnel devenant alors autant de moyens de confronter l’être humain à lui-même et à ses contradictions fondamentales.
Vernissage
Samedi 22 mars 2014