Présentation
Patrick Vauday
Faut voir!
Il y a beaucoup moins d’images qu’on ne le dit généralement, si on admet qu’une image est davantage ce qui donne à penser que ce qu’on perçoit. Les œuvres mises en constellation dans ce livre appartiennent toutes au champ de l’art d’aujourd’hui, et intriguent le regard par un détail singulier qui en signe l’exception. D’une mise au point troublante ou d’une focalisation étrange naît une contrariété visible ou audible qui conduit à s’interroger sur ce que l’on voit ou on entend.
Chaque œuvre est approchée dans son exemplarité et sous un angle particulier qui rend compte de son mode spécifique de fonctionnement. Cette analyse esthétique n’entend pas définir chaque œuvre et en finir avec elle, mais donner toute leur résonance à ses effets plastiques, dans leur singularité.
«Il se tient au sommet d’un rocher entre mer bleu profond et ciel bleu pâle. Sans disposer de l’espace pour le faire, le rocher étant réduit à sa pointe, il paraît marcher, ce qui ne manquerait pas de le précipiter dans le vide. Dans cet endroit sauvage, en tout cas désert, on s’étonne de le voir porter un élégant costume noir et une chemise blanche. S’agissant d’une photographie, le moins troublant n’est pas la configuration inhabituelle du lieu qui montre la mer et le ciel dressés à la verticale de part et d’autre du rocher où l’homme est perché. Ou bien, dans le même accoutrement, droit comme un «I», on le voit se tenant des deux mains à la rampe d’un balcon d’où il contemple, depuis la mer d’où il émerge inexplicablement, le littoral d’une ville hérissée de buildings ; là encore, mer et ligne de terre érigées à la verticale. «Il», c’est Philippe Ramette, ou du moins son double dans l’image, son personnage récurrent dans une série de photographies qui le mettent en scène dans un espace pour le moins paradoxal.
Dans l’ordre du langage, on parle de paradoxe pour désigner un jugement, une idée ou une façon de voir les choses qui vont à l’encontre de l’opinion commune ou du bon sens; c’est bien ce dont il s’agit dans l’œuvre de Philippe Ramette qui transpose le paradoxe au plan visuel et perceptif en donnant à voir, avec toute la netteté possible, l’évidence, peut-on même dire, dont est capable la photographie, ce qu’il est rigoureusement impossible de voir parce qu’en contradiction avec les lois de l’expérience commune. Ce qu’on devrait voir, un homme au balcon d’un immeuble ou à l’extrême pointe d’un cap rocheux contemplant la mer se voir, verbe qui trouve ici tout son sens, réfuté, contredit ou tout simplement contrarié par l’évidence des apparences.»
Sommaire
— Prologue. Ce que les images montrent des images
— Stigmate de Sophie Ristelhueber (photographies)
— L’image, le lieu. Claude Lévêque (Valstar Barbie, installations, La Sucrière, Lyon et Centre Pompidou, Paris)
— Le spectre de la machine. Rodney Graham (Rheinmetall, projection vidéo)
— Sous les drapeaux. Burak Delier (photographie), Martin Le Chevallier (installation vidéo), Fayçal Baghrich (installation vidéo)
— A la dérobée. Katarzyna Kozyra (Bathouse, installation vidéo)
— Rêver le musée. Ange Leccia (Antoine Bourdelle, film triptyque, 15 mn)
— Sabordage. Michel Foucault (hétérotopies), Jacques Tati (films)
— L’ombre de l’égalité. Maurice Matieu (peintures)
— Le grain du réel. Bernd et Hilla Becher, Thomas Ruff (photographies)
— Explosante fixe. Maria Bovo (Chant cinq, vidéo)
— L’éclat du silence. Claudio Parmiggiani (installation, Collège des Bernardins)
— Au détail près. Manoel de Oliveira (Singularités d’une jeune fille blonde, film)
— Eclater l’image, Ernesto Neto (Leviathan Thot, installation, Panthéon, 2007)
— Joyeux palimpseste. Jacques Villeglé (affiche lacérée, Carrefour Montmartre-Rambuteau, 12 avril 1975)
— Prise de vues. Tadashi Kawamata (L’observatoire, installation pérenne)
— Postures. Philippe Ramette (photographies)
— Travelling. Abbas Kiarostami (Pluie et vent, photographies)
— Eloquence de l’image. Nicène Kossentini (photographies, Sidi Bou Saïd, février 2009)