Farah Atassi
Farah Atassi
Espaces-temps synthétiques et flottants, les œuvres de Farah Atassi décrivent des mondes autonomes, au singulier pouvoir de fascination. Marquée à ses débuts par l’esthétique de la ruine, Farah Atassi commence à peindre une série d’intérieurs désertés, tirés de photos de maisons communautaires russes, ainsi que des lieux en état d’abandon, de déréliction. Résolument conceptuel, son travail se distingue par une restructuration de l’espace: des grands volumes souvent approchés par l’angle, oscillant entre l’hyper construction et la coulure, des distorsions d’échelles troublantes, et une belle réflexion menée sur l’objet mobilier, qui repense le rapport de la forme et de la présence.
Peu à peu, Farah Atassi concentre ses recherches sur la célébration des utopies modernistes, dans des compositions figuratives traitées comme des dispositifs scéniques: ainsi naît la série des Workshop, qui multiplient les références, les citations et les indices mis en abîme. Si les clins d’œil à  Fernand Léger, Kazimir Malevitch, Piet Mondrian ou à Charles & Ray Eames confirment les préoccupations géométriques de l’artiste, ils traduisent également sa volonté de rapprocher architecture et peinture, dans un processus d’épure déjà présent dans les Architectones de Malevitch.
Plus complexes et moins narratives, ses dernières toiles continuent de penser l’espace, via l’exploration du motif décoratif et la maquette d’architecture. Son intérêt pour le motif géométrique (ou la forme simple) l’amène à systématiser l’utilisation de la grille dans le processus même de composition, et à ouvrir progressivement le travail à la question de l’ornement.
Inspirée par l’esthétique des Nibelungen de Fritz Lang, la série Tabou, témoigne de ses nouvelles recherches formelles et confronte le modernisme — la ligne pure du Bauhaus — à l’ornement folklorique. Farah Atassi semble vouloir orchestrer la cohérence dans la contradiction: symétrie faussée, effets de miroir trompeurs, point de fuite décentré, ses toiles récentes installent un display tout en décrochements, alliant rigueur et accidents canalisés, une scène mentale conçue pour des objets hybrides, usines naines, immeubles miniatures ou entassement de maisons-jouets.
Dans la lignée d’artistes précurseurs qui ont introduit des éléments des arts appliqués, de l’artisanat et de l’art populaire dans l’art moderne (Auguste Herbin, Marsden Hartlay, mais aussi Henri Matisse) Farah Atassi déploie ailleurs de surprenants motifs, d’inspiration orientale. Reproduites de manière systématique sur toute la surface de la toile, sans centre, ces formes sculptent, plient et déplient des espaces proches de mystérieux théâtres d’objets, en équilibre entre abstraction et figuration, planéité et perspective illusionniste marquée.
Ce sont ces recherches récentes qui sont mises à l’honneur dans l’exposition présentée au Grand Café. Elle propose une immersion dans l’univers de l’artiste à travers une douzaine de toiles comme autant de micro-univers cérébraux.
Dans sa pratique, Farah Atassi questionne les récits de la modernité en peinture, ses enjeux formels, son rapport à la réalité et à la fiction; ce faisant, elle participe au débat actuel sur l’art, confronté à la remise en question des interprétations, depuis que le monde occidental a découvert qu’il existait d’autre réalités, d’autres modernités.
À l’heure des approches post-coloniales, sa démarche s’en tient toutefois à des questions plus formelles et très anciennes, avec un traitement singulier qui repose sur des associations contraires: intérieurs et mises en perspective, cubisme et ornement. Une manière remarquable de créer de l’hybridité, au service d’espaces utopiques, teintés de métaphysique.
Commissariat
Sophie Legrandjacques