Far From Home

D’un côté, Buenos-Aires, son effervescence, sa folie, son rythme. De l’autre, Pékin, introverti, intimiste et pudique. Deux visions du monde qui se confrontent et s’embrassent dans les contrastes noir et blanc de l’objectif de l’Espagnol Alberto Garcia-Alix, et du Japonais Daido Moriyama. Mais les données ont été inversées, le regard dérangé…
Le Japonais est allé poser son œil toujours à l’affût du mouvement et de l’instant en Argentine. L’Espagnol s’est immergé dans Pékin comme on entrerait avec peur et retenue dans un monde inconnu et effrayant.

Dans la première salle de la galerie Kamel Mennour, tout commence en musique. Gros plan sur les jambes agiles des danseurs de tango, rues désertées de Buenos Aires où seule reste une carcasse de voiture. L’Argentine s’affiche en grand format, exubérante, contrastée, dense, granuleuse ; et même vidée de toute vie incroyablement présente.

Daido Moriyama exhibe, pénètre dans la ferveur et saisit ces instants de vie, regards curieux, chiens errants, voitures à l’abandon… Tout ce qui bouge, tout ce qui vit, ne passe pas devant l’objectif de Daido Moriyama sans être retenu en un moment infime, le temps, arrêté, reste en suspend. Le réel se révèle ici à la fois poétique, plein d’énergie, chargé de culture et de vérité de facto. 
Pour reprendre Jean-Claude Lemagny : «En dehors de toute théâtralisation subsiste une photographie créative qui continue de surprendre, dans la réalité, des moments poétiques» (L’ombre et le temps). Et cette chaire de vie s’ancre jusque dans la photo aux grains épais, modelés, contrastés. La matière photographique vit chez Moriyama, autant que vivent ces sujets.

Deuxième salle, un billet pour Pékin. Et nous voici dans l’univers intime et personnel d’Alberto Garcia-Alix. Finis les immenses formats et le mouvement, ici, tout est carré, du format au cadrage. Tout est net, « architecturé », maîtrisé. Une seule chose échappe pourtant, ce sont ces regards des autochtones, photographiés dans des lieux anonymes et aseptisés, sortis de leur contexte pour ne retenir plus qu’eux, leur personnalité, leur handicap, leur âme.
Et quand ce ne sont pas les Pékinois, c’est la ville toute entière qui laisse sa trace sur Alberto Garcia-Alix. Où plutôt, c’est le photographe qui laisse un peu de lui dans chacun de ses cadrages. L’occidental a apporté son savoir-faire, mais surtout sa sensibilité, ses craintes et ses peurs. Et c’est à la limite de ces impressions ténues qu’il vise, cadre et capture. Digestion d’une errance dans Pékin, d’une errance dans Alberto Garcia-Alix.
Une démarche introspective dont parle Raymond Depardon, un voyage où le paysage est avant tout ressenti. Mais comme pour ressaisir ce débordement d’intimité, Alberto Garcia-Alix borde, maîtrise la lumière et utilise la ville pour ses graphismes de fils électriques,  ses architectures géométriques, son ordre, son identité visuelle.

Troisième salle : la confrontation. Les deux photographes qui avaient déjà exposé individuellement à la galerie Kamel Mennour, se rencontrent à travers leur échange cosmopolite. Chacun s’imprégnant à sa manière de l’univers de l’autre ; quand l’un interroge, l’autre répond.
Ici moyens et grands formats se font face. Buenos-Aires nargue Pékin avec son énergie et sa vitalité. Pékin rétorque avec son apparente sérénité et son calme. Et c’est dans cette confrontation occident/orient que se révèle toute la richesse du voyage, de la découverte et de l’errance.

Publication :
Daido Moriyama / Alberto Garcia-Alix, éd. Galerie Kamel Mennour, avril 2008.

Daido Moriyama
— Sans titre (Série Buenos Aires), 2007. Photographie noir et blanc.
— Sans titre (Série Buenos Aires), 2007. Photographie noir et blanc.
— Sans titre (Série Buenos Aires), 2007. Photographie noir et blanc.

Alberto Garcia-Alix
— Bian Yuan, 2007. Photographie noir et blanc.
— Paisaje Mutilado (Beijing), 2007. Photographie noir et blanc.
— Autorretrato con letras chinas, 2007. Photographie noir et blanc.