Puisées dans le fonds des souvenirs familiaux, ces images, bribes encore distinctes d’une enfance déjà lointaine, pourraient, à première vue, se heurter à ces autres images empruntées au répertoire commun. Pourtant, la projection de cette série ne provoque aucun sentiment de contraste violent, voire de profonde incompatibilité. L’impression qui se dégage de cette association est celle d’une étrange cohérence.
Chaque film est précédé d’un carton qui indique son titre, sa durée, les acteurs et les auteurs des images. Se côtoient ainsi au registre des acteurs Xavier Gautier et sa famille («Me», «My Mother», «My Brother», «My Sister») et Marilyn Monroe, Anne Bancroft, Adolf Hitler, Faye Dunaway, etc. Au registre des auteurs, on note Steven Spielberg, Billy Wilder, Luc Besson, Arthur Penn, etc., et le père de l’artiste («My father»). Véritable antinomie, cette improbable juxtaposition de noms sous-tendue par une tout aussi improbable co-production révèle ce que l’image va par la suite quasiment faire disparaître, la composition.
Car ce travail repose, de fait, sur le montage et la formation d’un nouvel espace de récit à partir d’images provenant des deux domaines de la réalité et de la fiction. Loin de produire l’effet de deux mondes parallèles et parfaitement inconciliables, le montage les lie étonnamment l’un à l’autre. C’est ainsi que Xavier Gautier défile, pour Halloween, en costume de fantôme à la place d’E.T. Marylin entre dans un jardin où jouent son frère et sa sœur. Faye Dunaway regarde s’amuser son frère et ses cousins.
Dans cette œuvre, il ne s’agit pas de savoir ce qui tient du réel ou du fictif. Les images ont en commun d’être passées par le filtre de la mémoire individuelle et d’être mises sur un même plan. La question de leur origine ne se pose plus de la même manière. Bien qu’issues des sphères publiques et privées, elles trouvent leur commune réalité dans le regard qui les a enregistrées. Dès lors, la frontière entre les films familiaux super 8 et les films de l’industrie du cinéma s’efface au profit d’une culture familiale. Un souvenir de bord de mer est mis au même niveau qu’un souvenir du Grand Bleu.
La mise de ces différents types d’images au rang de souvenirs correspond à ce que Xavier Gautier nomme une «mémoire cinématographique» pour signifier que la contamination s’opère dans le sens du cinéma vers les productions de son père. C’est aussi que la qualité plastique du film super 8 s’y prête. Par la particularité de son rendu, il porte en lui une valeur déréalisante. Le mouvement légèrement saccadé, la matière de l’image à la fois vaporeuse et liante, et le vieillissement des couleurs donnent aux moments filmés l’impression d’un temps paradoxal, vécu et recomposé à la fois. Dès lors des parallélismes peuvent s’opérer et des liens se créer entre le vécu et le vu, le réel et la fiction.
Le seul film qui nous laisse une très étrange impression est celui où se côtoient, par la biais du montage, la famille Gautier, Adolf Hitler et ses proches. Parce qu’il ne met en relation que des documents, il quitte la poésie des autres films pour un versant plus politique qui rappelle les premiers travaux de Christian Boltanski sur les stéréotypes de gestes et de situations. Les scènes champêtres sont le propre aussi bien de la famille ordinaire que des auteurs des pires horreurs. Au-delà de cette lecture réductrice, ce qui apparaît dans ce film, et par contraste avec l’ensemble, n’est autre que le chaos du réel face à lui-même. Il est bien moins dérangeant d’associer des anonymes à Faye Dunaway qu’à Eva Braun et Joseph Goebbels. Preuve que le statut du document historique est bien plus délicat que la question du droit d’auteur et des images à l’heure actuelle, notamment dans le contexte des pratiques de recyclage. Malléabilité de la fiction et intransigeance du document.