Grâce à un partenariat avec la Dancehouse de Melbourne, Micadanses a conçu cette année un focus sur la danse australienne. Deux chorégraphes et une danseuse, Phoebe Robinson. S’ils ont une relation à la danse et une esthétique radicalement différente, les deux créateurs australiens choisis pour cette édition ont également des points communs.
Tous deux sont des indépendants, loin des grandes compagnies australiennes, souvent des ballets privés et néo-classiques. Tous deux creusent des espaces intermédiaires, des lieux de la danse qui appartiennent généralement plus aux pratiquants qu’aux spectateurs. Tous deux prennent le temps d’analyser leur travail, devant un café, après les deux soirées qui leur sont consacrées.
Transit est une pièce étonnante qui trouble les repères habituels de la danse contemporaine. Tout y est d’une simplicité désarmante. Une vidéo en flux continu, un paysage qui s’expose comme une danse immobile et un éclairage très discret servent de décor. Le vocabulaire chorégraphique semble déjà connu, déjà reçu.
Phoebe Robinson est d’une précision remarquable. Dans cet exercice qui consiste à dessiner des trajectoires, à ne rien mener à terme, elle se montre capable d’une danse d’empreintes, plus nerveuse que musculaire. Une danse de sensations inachevées.
Elle explique cela: Transit est la mémoire de ce que l’on ne fait pas. Sandra Parker a composé la pièce isolée par une blessure. Elle indique que l’isolement symbolique des insulaires est peut-être pour quelque chose dans sa sensibilité aux entre-deux, aux liens invisibles qui la relie à des personnes ou à des lieux parfois très éloignés physiquement. Elle écrit donc Transit comme l’on brasse les archives de gestes automatiques, appris, ancrés. La curiosité est forte de savoir où la mènera cette étude d’un Là inatteignable, cette attention à l’instant où l’on quitte une chose sans encore se joindre à une autre.
Matthew Day présente Cannibal, second volet d’une trilogie. Thousands était la première, une référence aux Mille Plateaux de Deleuze et Guattari fondée sur la recherche de l’immobilité, le laisser-venir des tremblements. Il faut dire que Matthew Day a passé plusieurs années à Amsterdam à fréquenter les studios de la New School for Dance à la poursuite de personnes avec qui travailler. Et d’une certaine façon sa danse est plus européenne, plus proche des recherches de nos jeunes artistes.
Lorsqu’il parle de Cannibal il évoque pourtant Steve Paxton et l’observation de ce qui advient dans le corps. Ainsi, il laisse les tremblements s’amplifier et être à l’origine des mouvements. Sur la très belle composition de Jason Brown, toute en infra basses, il résiste à la séduction du son et se positionne dans un état subtil qui s’essaie à n’être ni contrôle ni submersion.
Cannibal est une pièce qui ne débute que lorsque l’on est prêt à la regarder, une pièce qui pourrait durer une heure, qui durera une heure lorsqu’il aura trouvé comment ne pas montrer l’effort. Parce qu’ici, il n’est pas question d’épuisement ou de performance physique. La chorégraphie, rhizomatique, nait d’une suite de choix dans les possibles. Et parce que le jeune homme aux cheveux blancs sait prendre son temps, les vagues constitueront la langue utilisée pour Intermission, dernière partie de ces solos. Occasion à ne pas manquer d’observer une plongée entre les vagues de conscience qui bousculent le noir épais des profondeurs.
Deux pièces, deux auteurs, deux réflexions mobiles autour des fondamentaux de la danse: le focus Australie abolit les distances entre la spécificité d’un savoir corporel et les flux difficilement perceptibles de la pensée, de l’espace et du temps. Les antipodes nous tendent alors un miroir sans tain qui fixe le regard sur l’essentiel. Revigorant.