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Faits d’hiver. Les garçons sauvages

Au centre de cette étude quasi morphologique, Camille Ollagnier place ses cinq interprètes — tous différents, tous fascinants — dans le clair-obscur d’un désir accueillant qui exacerbe la spécificité du sujet et s’en fait le doux révélateur. Les Garçons sauvages comme une déclaration d’amour où la singularité du chorégraphe se lit dans la somme des corps qu’il produit sur scène.

D’abord une entrée en matière pudique qui évoque le tableau final de Ni fleurs, ni Ford Mustang de Christian Rizzo; constellations imperceptibles, scintillements rythmés par des flashes lumineux sur fond d’alunissage nostalgique derrière lesquels s’efface Thomas Lagrève, toujours en rotation. On s’imprègne de cette révolution parfois malhabile où affleure la délicatesse d’une trajectoire dessinée comme un mirage, vision d’un astre dont la matérialité demeure énigmatique, Ni vu ni connu… Légèreté pas désagréable avant l’arrivée de Nans Martin dont l’ampleur sans limites d’un dos aux courbes hautes indécentes nous entraine vers une toute autre poétique.

Dans L’Angle mort, tout est donné à voir de cette zone invisible à l’interprète: le dos comme lieu de présence éclatante, triomphale, contrastant avec le solo précédent qui jouait sur la demi-teinte. Belle musicalité de l’écriture chorégraphique plus aérienne encore, volontairement ralentie, étirée sur les envolées lyriques de Jeff Buckley ou la rythmique de LCD Soundsystem. Travaillant l’amorti à la manière du félin, le danseur en chaussettes mêle l’extrême douceur à la force, l’intensité des courbes, des étirements, du ressenti des lignes, tandis que l’écriture s’efface et sait se faire oublier.

Lorsque Du roi des aulnes débute on perçoit une ébauche de système, on devine les échos entre les différents soli parce que le contraste apparaît tel entre les deux corps que l’on ne peut oublier la similitude du parcours qu’ils traversent chacun leur tour sur le plateau.
Avec Martin Barré on interroge le centre, qu’on devine dense et puissant et qui expliquerait la force tellurique de ce corps robuste.
Mis à mal par une série d’équilibres immobiles, d’inversions de posture ou d’amples rotations, l’interprète triomphe peu à peu de la gravité, finalement décolle, mettant en œuvre la beauté de cette fonction phorique qu’évoquait Michel Tournier dans Le Roi des aulnes.
Beaucoup de girations là encore pour alimenter le danseur d’une énergie centripète, quand Ni vu ni connu semblait au contraire se disperser dans l’espace. On distingue par moment le ventre arrondi de l’interprète, mais sculpté par l’effort il relève alors d’une toute autre physionomie laissant divaguer l’imaginaire qui métamorphose à l’envie.

Pas la peine avec Alexandre Bibia. Bel éphèbe drapé dans une incroyable création végétale de Jérémy Martin, il évolue torse nu sur scène pour nous dévoiler le galbe d’une épaule immédiatement fétiche quand l’allure demeure hiératique et noble. Jeu de l’intertextualité voulue ou fortuite, la musique funèbre de Purcell évoquera pour certains le «Dom Juan saccagé» de Thomas Ferrand, Mon amour: jolis échos qui travaillent au-delà de la représentation, alimentent le solo d’autres dépenses chorégraphiques.

Rupture nette, bascule avec Prince ou justement la référence est réelle. Réplique, hommage, pastiche, reprise d’un Kiss aux limites du gogo dancing… bien qu’ici le danseur ait les yeux clos. Immergé dans le plaisir auto-érotique des ondulations de son corps il émeut alors par sa totale franchise, nous pousse presque dans une gêne voyeuriste quand nos seuls yeux regardent.

Retour à Purcell puis atterrissage forcé avec l’entrée en scène du dernier interprète trop habillé, sur son trente-et-un quand on voudrait encore plus de nu, suite logique d’un effeuillage progressif. Elseneur constitue peut-être un exercice déceptif, sorte d’essai quelque peu étrange sur la force dramatique et l’éloquence du geste. Vincent Delétang y déploie beaucoup d’effets de regards, un certain humour… mais on regrettera peut-être ce retour à la surface revêtue du corps, quand l’entreprise de mise à nu était justement si délicate qu’elle nous avait conduits progressivement de l’examen attentif au trouble cru d’une sensualité réflexive. A suivre avec les sept prochains soli qui complèteront la pièce.

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