ART | EXPO

Faites vos Je

08 Juil - 13 Sep 2008
Vernissage le 05 Juil 2008

«Faites vos Je» n’est pas une exposition collective conventionnelle, elle propose une investigation pour débusquer les stratégies à l’œuvre derrière le choix d’un pseudonyme et la dissolution de l’auteur dans les pratiques contemporaines.

Artists Anonymous, Cercle Ramo Nash, Eric Duyckaerts, Claire Fontaine, Anabelle Hubaut, Norma Jeane, Alexandre Lenoir, Edouard Levé, Sylvie Réno, Reena Spaulings, David Vincent
Faites vos Je

Drag queen avant l’heure, Rrose Selavy signait dès 1921 pour Marcel Duchamp des lettres, des brouillons et des œuvres. Il/elle s’autorisait ainsi la conquête d’autres territoires.

Si, dans l’histoire de l’art, le recours au pseudonyme n’apparaît pas avec l’œuvre de Duchamp, l’affirmation d’une double existence par la revendication d’une autre identité, fut-elle comme ici sexuelle, a cependant permis l’apparition sur la scène artistique contemporaine de nombreux travaux centrés sur la re-présentation ou le travestissement de soi. Artistes fictionnels, vrais faux groupements d’artistes, dédoublement de l’auteur, œuvres fantasmées ou véritables supercheries ont émergé de la brèche ouverte par le même Duchamp qui, fin stratège, signait R. Mutt un urinoir passé à la postérité sous le titre Fountain, révélant peut-être qu’au delà de l’identité, c’est aussi de stratégie dont il est question.

«Faites vos Je» n’est pas une exposition collective conventionnelle, elle propose une investigation pour débusquer les stratégies à l’œuvre derrière le choix d’un pseudonyme et/ou la dissolution de l’auteur dans les pratiques contemporaines. Les pièces présentées abordent ainsi, entre autres, des problématiques liées aux notions de dématérialisation de l’oeuvre et de l’artiste. Quand David Vincent convoque douze critiques à produire du texte autour de l’œuvre de Nancy Crater, incarnation de l’Artiste selon lui et dont la production fait l’unanimité, ce sont les modalités des dispositifs qui font polémiques. En provoquant l’écriture de discours susceptibles de construire une proposition artistique, indépendante de son auteur, de ses modalités plastiques et parfois même en dépit de celle-ci, l’artiste souligne que par delà les glissements d’auteur, il est aussi question d’une certaine vacuité de la critique.

Des considérations pragmatiques interviennent aussi dans le recours et le choix d’un pseudonyme, liées au marché de l’art, ses codes, ses rites et propension à alimenter mythes et fictions au travers de bios artistiques plus ou moins brumeuses. C’est ce que critique et pourtant conduira à sa dissolution le fameux groupe d’artistes Présence Panchounette. Vingt ans durant, ils subvertissent, infiltrent et manipulent le monde de l’art et ses codes. Leur refus systématique de s’afficher ou se dévoiler ainsi que l’aura mystérieuse qui les entoure ne fera, malgré leur attitude critique et provocatrice permanente, qu’accroître la valeur de leurs productions. Las, ils dissolvent le groupe.

Dans leur sillage et adoptant une position aussi critique et radicale élargie à l’ensemble de la société, et décrite comme du « Beuysianisme apocalyptique2 », le collectif Artists Anonymous revendique, à l’instar de Joseph Beuys, la notion d’art total dans lequel l’art et la vie se confondent. Mais du côté obscur ! Pour preuve le titre de leur dernière exposition «I Hate The World And the World Hates Me» fait référence à l’action entreprise par Beuys en 1974 I Like America And America Likes Me.

Art et vie confondus, interchangeabilité, droits d’auteurs, propriété intellectuelle privée ou collective sont autant de sujets que l’on retrouve chez le jeune collectif Claire Fontaine, artiste ready-made autoproclamé, et qui privilégie le recours aux processus collectifs de production. Ces questions trouvent un prolongement dans des démarches très personnelles, plus intimes et liées à des réflexions autour de l’individualité. Ce que révèle l’œuvre de Norma Jeane, née à Los Angeles la nuit même ou mourut Marilyn Monroe, et qui, en renonçant à un sexe en particulier, et en se créant de multiples personnalités, produits des versions copiées collées de son personnage. Norma Jeane n’est autre qu’un(e) artiste sans corps et sans biographie autre que celle de son parcours artistique.

A l’inverse, Mademoiselle Hulaut, alter ego fictionnel de l’artiste Annabelle Hubaut, est devenue elle-même une œuvre dont l’existence semble confirmée par une production tangible et «exposable» alimentée par l’une ou l’autre des personnalités en présence. Une mise en abîme du réel et de l’artiste qui peut s’apparenter avec la démarche d’Eric Duyckaerts à l’occasion du dispositif Dummy’s Lessons, absurde leçon de dessin d’une marionnette à son manipulateur qui joue du malentendu pour questionner le dessin dans l’art aujourd’hui.

D’une leçon, l’autre ; celle proposée par Sylvie Réno en 2003 lors de son exposition «La leçon de chose» qui pose comme cas d’école la relation entre peinture et sculpture, questionne aussi les principes de reproduction et de surproduction, et interroge le statut de l’art dans son rapport au réel kidnappé par les zones de pouvoir (de l’industrie bien sûr, mais du marché de l’art également). Une interrogation qui la taraude depuis que Reynaud à cédé la place à Réno dont l’œuvre, telle une manufacture de fantômes et dans l’élaboration de doubles mordorés, s’attèle à une «cartonnisation» systématique du monde.

Directement emprunté au jargon des croupiers, le titre de l’exposition est une invitation explicite et pressante faite au public à se prêter aux jeux de l’exposition. Au gré d’un parcours ludique et mystérieux, les œuvres font offices de pièces à conviction, empreintes ou autres alibis. Cependant, la reconstitution finale échappera totalement aux règles en vigueur dans la profession du limier.
Les je sont faits, rien ne va plus.

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