Faire germer les pierres – Peinture sur marbre de Daniel Schlier
«Faire germer les pierres» est le titre intriguant qu’a donné Daniel Schlier à sa nouvelle exposition à la galerie Jean Brolly. On connaît l’attachement de l’artiste pour la technique et l’importance accordée au support: liège, cuivre, bois, verre, sans oublier la classique toile. Pour sa énième expérimentation, Daniel Schlier peint sur marbre.
Si cette roche calcaire n’est pas neutre de part les veinages polychromes qui produisent à eux seuls de grands effets esthétiques, c’est dans les bigarrures d’un noir de Carrare, d’une labradorite Australe, d’un Portofino et d’un rose de Norvège que Daniel Schlier va puiser toute son inspiration.
Sur quatre d’entre eux, on retrouve la figure d’un cerf dont le corps est matérialisé à la feuille d’or — les uns confrontés à un fragment de montagne enneigée, un autre semble protéger de ces bois bleus outremer un nu tardif de Picasso, un autre encore arbore fièrement au dessus de sa tête rouge des branches de rosier en guise de bois.
Sur un noir de Carrare dont les veines ressemblent à s’y méprendre à des traces de peinture vient s’inscrire une vache affublée de pieds d’homme aux pattes arrière alors que 2 mains bleues tâtonnent dans le noir. Intitulé Nocturne avec Europe, la vache nourricière est affublée sur son flan d’une véritable pièce de 1€.
Une vanité figure sur un marbre moucheté de rouge: un crâne violet fait face à une branche d’olivier qui donne l’impression en raison de la transparence (exécution à l’aérographe) d’être inscrit dans la mémoire de la pierre. Pour compléter la série, un petit marbre format carte postale avec un visage rouge qui apparaît dans un coin tel une anamorphose, ou encore, un thème plus noble: une femme au bain, comme effrayée par son reflet dans le marbre rose, qui cache son visage.
Comment appréhender ces peintures où le peint joue avec le non peint? Non seulement Daniel Schlier entretient une relation étroite avec les techniques du passé mais il aime avant tout puiser de manière allusive dans le riche répertoire de l’histoire de l’art. En fait, chacune des Å“uvres ici présentées peut se lire comme un fragment d’une histoire qui se suffirait à lui-même. Le cerf, ne serait-t-il pas Actéon transformé pour avoir surpris Diane au bain? Diane, n’est-elle pas ce tableau de Picasso, qui pudiquement vient se cacher derrière les bois du cerf? Le nu fond rose ne fait t-il pas référence à La source de Courbet? Et ce visage d’homme, caché dans un coin, n’est-il pas un autoportrait qui en semeur d’indices, contemple discrètement ce spectacle avant d’être surpris, puis transformé en cerf?
Le trouble nous envahit tant la tension visuelle est grande. Daniel Schlier joue d’incongruité et de malice et c’est là sa singularité. Il questionne notre regard trop souvent habitué à consommer sans véritablement prendre le temps de regarder.
Né en 1960 à Dannemarie (Haut-Rhin, France), Daniel Schlier vit et travaille à Strasbourg.