Fabrics Interseason
Si l’on considère la Villa Noailles d’aujourd’hui comme un espace vivant, où les murs, les surfaces, les matériaux, le design et l’aménagement intérieur sont imprégnés d’une mémoire — et où l’on devine, par là -même, la narration d’une relation, des traces d’une vie capturées dans les couches successives du lieu, ainsi que le témoignage d’une résidence commune à l’homme, la femme et l’enfant, qui introduit les idées de séparation ou de partage de la pensée, du travail et de la vie — il semble que ce lieu incarne l’environnement, la vitrine idéale pour procéder à un effort de mise en contexte d’une sélection d’œuvres, choisies selon des critères tantôt rétrospectifs, tantôt parcellaires. Œuvres qui, elles aussi, racontent dans leur surface une vie commune et une relation.
Mais comment conceptualiser, structurer une rétrospective qui piocherait dans une archive d’œuvres artistiques signées d’un «nous» pluriel, mais qui, chacune, témoigne d’une réflexion et d’une expérience subjective et personnelle? Comment faire en sorte à ce qu’une idée, expression individuelle par excellence, ou encore que la notion de la paternité de l’auteur, parle au nom d’un collectif, si au sein de celui-ci, une garde-robe ne constitue plus la propriété intellectuelle d’un individu mais quelque chose qui est conçu pour être partagé?
Pour tenter de répondre, les vêtements masculins transposés dans la garde-robe de la Chambre de Madame posent le problème de l’appropriation masculine de l’espace, ou du moins sa conquête de celui-ci, qui fait écho à la qualité implicite des relations de pouvoir entre hommes et femmes dans la société, voire de la domination patriarcale, tout en révélant une tentative — rétroactive — d’expression stéréotypée qui introduit la transgression ou l’estompement des frontières entre les individus. Si l’on prend en compte la conception spatiale et l’aménagement intérieur de la maison, qui bénéficie depuis son origine d’une forme d’ouverture, sans parler de la relation entre Marie-Laure et Charles de Noailles, on a du mal à discerner cette dynamique de premier abord, en découvrant notamment leurs chambres séparées. C’est pourquoi les frontières du «je» se transforment en celles du «nous» au gré des Å“uvres, que ce soit dans les domaines de l’art ou du design. Il s’agit de murs, qui jouent le rôle de séparateurs de pièces. L’idée d’espace libre présuppose l’établissement de frontières au sein du vide.