Elisa Fedeli. L’Homme de Bessines célèbre cette année ses vingt ans. Ce travail, issu d’une commande publique de la commune de Bessines (Deux Sèvres), est une sculpture-fontaine qui représente un petit homme vert — votre couleur de prédilection — dont les orifices corporels déversent des filets d’eau. Qui est l’homme de Bessines: un autoportrait, un superhéros écolo, un nouveau type d’homme?
Fabrice Hyber. A l’époque, je considérais les commandes publiques comme des choses très grosses, qui prenaient de la place, et pas du tout naturelles. Je me suis dit que j’allais créer une invasion de petits bonhommes verts et la déployer sur plusieurs sites, comme si des extraterrestres débarquaient à Bessines. Ce projet a enthousiasmé le maire de l’époque.
La physionomie de ce petit homme vert est très proche de la nôtre, bien qu’il soit plus petit que nous, comme un nain de jardin. Son physique est complètement inventé: c’est un petit notable avec un peu de ventre. On a l’impression qu’il ne sait pas trop où mettre ses mains. Ce n’est pas un autoportrait mais cela pourrait être moi plus vieux!
Depuis qu’il a été crée, ce personnage a parcouru le monde et s’est dupliqué dans d’autres installations, notamment à Shanghai, à Lisbonne, à Tokyo et à Londres. Est-ce que cette donnée vient nourrir le sens de l’oeuvre ou est-elle simplement une réponse au marché?
Fabrice Hyber. C’est le sens même de l’oeuvre, qui consiste en une invasion. Je voulais qu’elle se déploye dans le monde entier. Quand je l’ai réalisée, je pensais beaucoup à l’effet viral et à la démultiplication des formes par le clônage. L’Homme de Bessines est arrivé à Bessines, il y est né en quelque sorte, et maintenant il est partout dans le monde. Comme une sorte de viralité de ce petit village, qui compte à peu près mille habitants.
Cela n’est pas nouveau: depuis Dürer, on fait des éditions et, aujourd’hui, on va jusqu’à multiplier les gènes. Il faut s’y habituer, cela fait partie du jeu!
Pourquoi la représentation du corps humain vous intéresse-t-elle?
Fabrice Hyber. Ce n’est pas cela qui m’intéresse. L’Homme de Bessines a le faciès aplati, comme s’il avait une cagoule sur la tête qui masque ses formes.
Je pense que chaque partie du corps est créée selon la fonction qu’elle doit remplir (par exemple accueillir la nourriture). La forme du corps est déterminée par l’extérieur et non par l’intérieur. C’est pour cette raison que L’Homme de Bessines n’est pas ébarbé: comme une gauffre, il reste brut de décoffrage.
Vous voulez dire que c’est une façon d’insister sur la matrice dont il est extrait?
Fabrice Hyber. Oui, absolument.
De manière générale, vous concevez votre oeuvre comme un réseau de ramifications en perpétuel développement. L’Homme de Bessines a-t-il des antécédents dans vos travaux de peinture ou de dessin?
Fabrice Hyber. Non, il a été inventé pour Bessines. Je fais peu de sculptures en général.
L’Homme de Bessines est cependant à la base de ce que j’ai développé par la suite: les prototypes d’objets en fonctionnement (POF). C’est un objet inventé mais «de l’extérieur»: au départ il n’est pas fabriqué pour être fonctionnel. Ensuite, on voit ce que cela donne.
L’Homme de Bessines est-il donc un POF?
Fabrice Hyber. Il pourrait le devenir. On l’utilise comme fontaine, comme gardien. Certains posent leur chapeau dessus…
La ville de Shanghai en a commandé 49 et de ma taille. Je leur ai dit que s’il avait ma taille, ce serait différent: le petit bonhomme vert deviendrait un grand homme nu. Ils l’ont fait quand-même et ils ont choisi d’enlever le côté sexuel de la sculpture en l’habillant d’un pagne! C’est une histoire très drôle!
Avec ses orifices qui crachent des filets d’eau, L’Homme de Bessines a un côté espiègle et un peu trash.
Fabrice Hyber. Dans les fontaine anciennes, on trouve aussi des petits bonhommes qui font pipi ou qui crachent. Il y a cette idée que le corps est en échange permanent avec l’extérieur. D’ailleurs, dans mon oeuvre, l’eau ne coule pas à flots et elle est recyclée immédiatement pour retourner dans le corps. Ce n’est pas un jet d’eau mais une humeur, comme une humeur du corps.
Peut-on dire que ce petit bonhomme est la métaphore de la pensée en action?
Fabrice Hyber. Oui, absolument, il condense beaucoup d’éléments récurrents dans mon travail: la viralité, l’expansion, les humeurs du corps, les échanges d’informations, le commerce au sens poétique du terme et le côté agréable. C’est un totem, qui fonctionne comme un repère et qu’on retrouve partout dans le monde, un peu comme les Mac Donald’s! Je plaisante!
Quelles sont actuellement les projets que vous poursuivez?
Fabrice Hyber. En 2012, il y aura plusieurs expositions de mes travaux de peinture, au Palais de Tokyo, Ã la Fondation Maeght et au Mac/Val.
En parallèle, j’essaie de travailler de plus en plus avec des entreprises, car je pense que c’est un domaine où il y a de nombreuses possibilités de développement social mais qui ne sont pas du tout valorisées. Je pense qu’un artiste peut les valoriser et c’est pourquoi je vais créer une école — qui s’appellera Les Réalisateurs — destinée à la fois aux artistes, qui ont besoin de produire, et aux entreprises qui, au lieu d’une agence de communication ou de marketing, pourront bénéficier de l’intervention directe d’un créateur et sentir la présence d’une structure de pensée plus humaine. Pour moi, actuellement, l’engagement de l’artiste est un engagement social très fort.