Valérie Jouve fait plusieurs séjours à Jérusalem quand le Master «Métiers et arts de l’exposition» lui propose une rétrospective à Rennes ; et elle a la folie d’accepter. Cette bonne intuition va définir les termes d’une expérience curatoriale sous le signe de la divergence (géographique et temporelle). Alors que les jeunes commissaires retracent l’histoire de l’œuvre, Valérie Jouve prend la tangente, ressent le «besoin d’aller voir ailleurs».
Son projet de travailler au Moyen Orient après vingt années à photographier l’Europe et les États-Unis coïncide avec le sentiment d’un tournant dans l’œuvre, imprégné par l’idée de «ne pas être à la place où le public [la] met». Cet état d’âme confié aux étudiants, Valérie Jouve trace la route, va de l’avant, pendant qu’à l’arrière les petites mains entament une fouille dans les recoins de l’œuvre. Elles y découvrent une piste à travers les séries et les catégories («Les paysages», «Les personnages») qui scandent l’accrochage des photographies de Valérie Jouve depuis des années.
Parmi les kilomètres de négatifs, des années 1990 aux dernières photographies envoyées de Palestine (et qui seront exposées au Centre Pompidou cet été), les quarante et une images sélectionnées apprivoisent l’œuvre en révélant sa substance temporelle.
«L’entre-temps» est le terme choisi pour qualifier celui que Valérie Jouve feint de fixer sur la pellicule. Ces chantiers urbains, terrains vagues, fenêtres murées, palissades, dalles de béton, sont autant de paysages de désolation que de territoires de tous les possibles. La lenteur des procédures de réhabilitation s’y éprouve en même temps que point le pressentiment de l’imminence. L’attente paradoxale, de leur sort ou du bon moment pour agir, contamine chacun des personnages dans ce corpus volontairement dépeuplé; leur mélancolie en captivité (toujours entourés de murs ou de grilles) retient sous pression leur velléité de révolte, ou de fuite, que seul un adolescent amorce en enjambant une barrière — achèvera-t-il son geste? (Les Personnages 1998/1999).
En rebattant les cartes, les commissaires redéfinissent l’œuvre par l’indétermination (du temps, du lieu, du sens). C’est le propre de l’image, ouverte à toutes les lectures et autant d’interprétations, esquivant ainsi l’impasse que semblait décrire l’artiste s’apprêtant à prendre le large.
Ainsi, l’exposition libère la photographie de son verre, et même de sa forme matérielle — exposable, commercialisable — pour laisser circuler l’image. Elle adopte la formule inédite pour l’œuvre de Valérie Jouve du diaporama, diffusé par quatre rétroprojecteurs, les treize commissaires ayant chacun concocté leur version.
Ainsi «transfigurée», la photographie devient une image mouvante, temporelle («temporaire»), et l’œuvre photographique une proposition conceptuelle qui a évacué le statut de l’œuvre pour penser le statut de l’image et ses appropriations par le regardeur.
«Expositions temporaires» est une expérience. Son dispositif, qui contredit les attentes du public, réinvente la perception de l’œuvre à l’épreuve de la projection — son rythme, sa répétition, son jeu aléatoire. Cette partition hypnotique fait exister le temps de la photographie dans l’espace d’exposition en proie au même métachronisme, l’emplissant de cette même tension que Valérie Jouve saisit à travers le monde et qui pourrait bien exploser un jour. C’est dans ce nouveau rapport de l’image au «lecteur» qu’apparaît la dimension politique de l’œuvre de Valérie Jouve.
Liste des Å“uvres
— Valérie Jouve, Sans Titre (les Façades), 2003. C-print. 100 x 127 cm.
— Valérie Jouve, Sans Titre (les Façades), 1998/1999. C-print. 80 x 100 cm.
— Valérie Jouve, Sans Titre (les Paysages), 2001/2002. Cibachrome. 30 x 40 cm.
— Valérie Jouve, Sans titre (les Façades), 2009. Non tiré.
— Valérie Jouve, Sans Titre ( les Façades), 2001/2002. Cibachrome. 100 X 130 cm.