ART | EXPO

Exposition personnelle

23 Oct - 23 Déc 2004
Vernissage le 23 Oct 2004

Des maquettes d’architectures épurées, aux couleurs primaires, pour souligner l’utopie au temps de la reconstruction d’après guerre. Des sculptures de femmes en référence à la tradition du nu, mais dans lesquelles la sensualité du corps fait place à la souffrance.

Thomas Schütte

Élève de Richter à l’Ecole des Beaux-Arts de Düsseldorf, Thomas Schütte est l’un des sculpteurs allemands les plus importants de sa génération. L’artiste se ré-approprie les pratiques traditionnelles de la sculpture et apporte à l’ensemble de son œuvre une vision très personnelle en référence à l’Histoire. Sous la forme de figurine, le motif de la représentation figurative, sous-jacente dans l’ensemble de son oeuvre, se poursuit aujourd’hui par de grandes têtes en céramique. Une importante rétrospective, en trois parties, lui a été consacrée à la DIA Foundation à New York de 1998 à 2000. Plus récemment, l’exposition «Croisades», vue au Kunstmuseum de Wintherthur en 2003, a été reprise cette année au Musée de Grenoble et au K21 à Düsseldorf, avec des pièces telles que les maquettes d’architecture, les grandes têtes en céramiques et les sculptures monumentales de femmes nues. La Galerie Nelson inaugurera son nouvel espace avec des maquettes d’architecture et deux nouvelles sculptures de nus féminins. En contrepoint, les «Grosse Geister» présentées à la FIAC évoquent l’univers masculin de sa galerie de personnages.

Thomas Schütte commence à créer des maquettes d’architecture dès les années 80. En utilisant une échelle réduite, il voulait isoler et ainsi souligner, l’utopie et l’imaginaire, dans un contexte de reconstruction architecturale d’après-guerre. Posée sur des tables, les maquettes les plus récentes proposent deux niveaux de lecture : une première lecture à taille réduite, celle de la maquette ; une seconde lecture, à taille «humaine», puisque la table ramène l’ensemble à une vue plus proche de nous, et donc à une relecture du monde plus personnelle. La table devient un élément essentiel puisqu’elle prend la place du socle. L’artiste propose une vision très épurée de l’architecture avec des formes géométriques, carrés, rectangles, lignes circulaires, qui confèrent une grande efficacité à l’intégralité des pièces. Les couleurs sont vives mais restent dans des tons primaires : bleu, rouge, jaune et blanc. L’artiste souhaite ainsi effacer tout ce qui pourrait être superflu. De cette façon, la lecture est immédiate et synthétique.

La série des maquettes d’architecture sont liées à l’actualité, comme les Maisons de vacances pour terroristes ou encore la Tour des parleurs, référence implicite aux Twin Towers mais aussi à la communication : la double boucle fonctionne comme un circuit fermé où les informations se relaient, de la base au sommet, sans qu’aucune faille n’interrompe la circulation des informations. C’est aussi un rappel du réseau Internet qui permet une connexion ininterrompue entre les différents acteurs et tisse une «toile» proche de celle de l’araignée. Si les premières maquettes s’inspiraient du climat social des années d’après-guerre, les nouvelles font plus particulièrement référence à la reconstruction géo-politique de l’Europe face à l’émergence de nouvelles puissances.

Les maquettes ne sont pas destinées à un projet réel : le fonctionnement est plutôt inverse. L’artiste part de ce qui existe et le réduit à une vue miniature du monde. Schütte se sert ainsi de la réalité pour construire des maquettes fictives et tenir le monde à distance. La critique est d’autant plus acerbe qu’elle part d’une réalité concrète et quotidienne pour être ensuite amplifiée voire exagérée. Ses maquettes témoignent des mutations qui s’opèrent dans la relation entre les individus et caricaturent parfois le mode de vie du monde occidental. L’ironie qui accompagne alors ses créations est là pour désamorcer ce qui paraît tragique. Sa vision des choses reste empreinte d’espoir car le traitement de sujets actuels sur un mode léger permet à la tragédie moderne et donc à l’indicible de s’exprimer.

L’artiste propose une autre mise en scène avec les sculptures de femmes. Elles font référence à la tradition artistique de l’étude du nu. On est loin cependant de la sensualité du corps féminin même si certaines conservent une grande part d’érotisme. Les sculptures présentent, dans leur majeure partie, une «mutilation» du corps de la femme, une tragédie de la féminité attaquée dans ce qu’elle a de plus essentielle. Elles témoignent d’une grande souffrance. L’une des sculptures, sans titre n°11, montre un corps recroquevillé où l’on ne voit que la colonne vertébrale qui prend la forme de vertèbres amphibiennes, idée amplifiée par le prolongement du cou qui se finit sur une absence de tête. Les reflets vert du bronze accentue l’animalité de la sculpture en lui donnant un aspect reptilien. Ici, le corps de la femme est entre deux espèces : au repos, à l’abandon, et en même temps prête à bondir, comme un animal sournois.

Il serait réducteur de voir dans ces sculptures de Thomas Schütte une vision simplement misogyne de l’artiste envers les femmes. Elles évoquent, au contraire, la complexité des relations entre les hommes, d’ailleurs souvent représentés par des têtes dans le travail de Schütte, et les femmes, dont le corps est ici le lieu de multiples mutations, le témoin d’un combat long et douloureux qui n’a toujours pas trouvé de conclusion.

critique

Thomas Schütte

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