Pascal Pinaud n’en est pas à son premier commissariat d’exposition. Déjà, en 2003, il conviait John Armleder, Bertrand Lavier, Mathieu Mercier ou la jeune Sandrine Flury à partager les cimaises des galeries Poirel, à Nancy. Puis en 2006, il rappelait à lui ses compatriotes niçois Noël Dolla et Pascal Broccolichi pour une expérience collective initiée par le Conseil général des Alpes-Maritimes.
Á chaque nouvel accrochage, l’artiste, qui se définit lui-même comme un peintre — identité plastiquement assumée par l’utilisation, depuis 1995, des initiales PPP pour Pascal Pinaud Peintre — aménage des espaces de dialogue entre les générations et les esthétiques, crée des territoires de réflexions communes. Avec, pour ligne de force, un ancrage solide dans le sud de la France et une inclinaison pour les démarches critiques et référencées, qui usent de la citation et du détournement historique.
L’exposition de la galerie Nathalie Obadia n’échappe pas à la règle, si ce n’est qu’elle se démarque par la construction d’un véritable parcours croisé, dont la structure spatiale et conceptuelle, résolument ouverte, offre de nombreuses pistes de lecture possibles.
Confrontées les unes aux autres, les œuvres sélectionnées en font naître de nouvelles, créant des zones fictionnelles à parcourir, des potentialités de paysages ou d’architectures, des conditions originales de visite. Entassés en couche épaisse, les tapis de Pascal Pinaud transforment la topographie de l’exposition, créant un obstacle psychologique à l’accession physique aux œuvres. L’installation acoustique de Pascal Broccolichi, elle, confère une densité inhabituelle à l’espace, divisé en territoires sonores, foulés désormais au grès de notre perception.
Dès l’entrée, la roue de tracteur garnie de fleurs de John Armleder et, plus loin, le frigo de Bertrand Lavier surmonté d’une chaise de Verner Panton, questionnent, par un clin d’œil amusant et poétique, le statut de l’objet manufacturé dans l’art et le devenir de nos sociétés contemporaines.
Très vite relayée par Mathieu Mercier, dont le travail est une variation personnelle sur le ready-made duchampien, cette réflexion prend une tournure sociologique et politique. Ses masques de baseball, emblèmes de la société américaine, servent à se protéger de l’autre, au sens littéral et symbolique du terme, au risque d’un glissement du principe de conservation à l’isolationnisme. Exposés dans des vitrines, décontextualisés pour devenir des icônes, ils prennent un aspect inquiétant, le cuir et les sangles rappelant étrangement l’harnachement des chevaux ou des instruments de torture archaïques. Du masque à la camisole…
Dans un registre critique différent, la peinture, en tant que pratique artistique traditionnelle, est soumise aux interprétations contemporaines et ironiques des artistes. Pascal Pinaud et Noël Nola s’entendent à la vider de sa substance émotive par une abstraction formelle renouvelée.
Coulures scintillantes et aléatoires ou éclaboussures standardisées chez John Armleder, la matière picturale devient virtuelle et sonore avec Pascal Broccolichi, s’accorde une temporalité et une volumétrie nouvelles dans Forest, la projection vidéo du benjamin de l’exposition, Ludovic Sauvage. Elle finit même par disparaître totalement sur l’initiative de Bertrand Lavier, la toile se confondant avec son support et les moyens de sa présentation : cadre et lumière.
Sur un des murs de la galerie, le format du tableau est l’occasion d’une variation autour de la figure du cercle, tracé au compas, démultiplié en points colorés ou en perforations factices. Les artistes qui rendent ainsi hommage au motif sont tous des inconditionnels de la forme ronde et de ses variantes : cylindre, cône, sphère.
On se souvient des œuvres de Noël Dolla, Toile orange point noirs ou Torchon, réalisées au début des années 1970 et recouvertes de pois de peinture disposés aléatoirement, et de la diagonale de pastilles rouges de John Armleder, datant de 1983. Plus généralement, ce cabinet de curiosité formel renvoie à la géométrisation des avants gardes du XXe siècle, et particulièrement au suprématisme de Kasimir Malevitch, qui préconise l’emploi de formes simples, pures et universelles, dites « spirituelles ». Petit autel dédié à l’abstraction…
C’est sur fond de citations historiques, encore, que l’on recroise Mathieu Mercier avec Glad, fabriqué d’après une construction spatiale de Rodtchenko, ou Stéphane Magnin, dont le Chiloutroom est une déclinaison actuelle des architectures gonflables et utopiques des années 1960. Passé, présent et avenir se rejoignent donc, pour une promenade aventureuse dans le paysage de l’art contemporain, à l’ombre des plantes de pacotille d’Emilie Maltaverne et sous les secousses sismiques visuelles du Monaco tremble de Sandrine Flury.
Pascal Pinaud
StèreI (07A04), décembre 2006-avril, 2007. Tirage numérique contrecollé sur dibon, vernis. 153 x 123 x 10,5 cm
Mathieu Mercier
Sans Titre, 2003-2007. Métal, caoutchouc, soclage en métal. Socle en bois et vitrine en altuglass. 38 x 23 x 30 cm
Noël Dolla
— Pleure pas pour moi Jeanette, Mémoire II, 1968-2008. Mouchoirs, acier inoxidable, plastique. 135 x 270 cm
— Cold white et Blanchot II, 2003. Peinture.
John Armleder
Narcissus Pseudonarcissus, 2003. Technique mixte sur toile. 100 x 100 cm
Pascal Broccolichi
— Volti subito, 2007. Dispositif sonore, résonateur sphérique. Polythylène, PVC, métal laqué blanc, système de diffusion équipé de micros, console de mixage, amplificateur, haut-parleurs coaxiaux. 230 x 300 x 120 cm
— UL.38, série Micropure, 2006. Tirage numérique contrecollé sur dibon. 124 x 82 cm
— UL.51, série Micropure, 2006. Tirage numérique contrecollé sur dibon. 124 x 82 cm
Philippe Gronon
Verso Fiat Panda, 2008. Photographie couleur, épreuve pigmentaire. 189 x 124 cm
Sandrine Flury
Monaco tremble, 2007. Photographie.