L’exposition, qui réunit onze artistes, a le mérite de vouloir situer, avec exigence, l’art conceptuel dans la seconde moitié du XXe siècle. Si livres d’histoire de l’art datent en 1966 la naissance de l’art conceptuel, de nombreux travaux réalisés au tout début des années 60 en posent les principes au travers des instructions et processus, qui passent tous par un intérêt tout particulier pour le langage.
C’est le travail de Franz Erhard Walther qui a fait germer l’idée d’exposer une histoire de l’art pré-conceptuel. L’exposition réunit donc des Å“uvres antérieures à 1966 jusqu’à des Å“uvres contemporaines pour la mise en perspective d’un héritage.
L’Å“uvre de Franz Erhard Walther présentée ici constitue une sorte de «genèse» pour l’art conceptuel, mais aussi pour le travail de l’artiste lui-même. Extraite de la série des Wortbild, cette Å“uvre date de 1958, alors que l’artiste est encore étudiant. Le matériau se limite au langage, à la fois lisible et visible. Le langage sera le matériau principal de l’art conceptuel: les travaux de Peter Roehr ou Heinz Gappmayr en témoignent également.
Une belle place est faite aux artistes de Fluxus. Cela peut paraître étonnant de prime abord, car Fluxus est généralement associé à l’humour, à l’auto-dérision, à l’événement, tandis que l’art conceptuel apparaît tellement plus sérieux. Pourtant, il semble incontestable que certaines des formes typiques de l’art conceptuel sont issues de Fluxus. Notamment celles de George Brecht, de Yoko Ono et de John Cage.
Les quatre Å“uvres de Brecht sont issues de la Water Yam Box, boîte dans laquelle l’artiste rangeait sa collection d’«événements». Elles intègrent des jeux sur le langage, et des Å“uvres comme Suitcase (avec le mot écrit deux fois, comme titre et comme énoncé, et la présence de la valise dans la galerie) sont proches de One And Three Chairs de Joseph Kosuth, ou de Card File de Robert Morris.
Pour John Cage, on pourra lire les partitions et écouter le fameux 4’33 », mais aussi deux autres Å“uvres dont une pour piano préparé. Fidèle à l’esprit Fluxus, John Cage met à mal toute notion de savoir-faire. Mais déjà , 4’33 » apparaît comme le comble de la dématérialisation, et d’un recentrement de l’Å“uvre autour de son propre énoncé.
Avec Yoko Ono, on bascule dans le jeu des «Instructions», avec Waterdrop Painting: les Instructions, entamées en 1955, sont des textes qui décrivent les actes à réaliser pour créer une Å“uvre. Ici, de l’eau doit tomber goutte à goutte sur une paire de chaussures. Ce que l’artiste appelle avec dérision «peinture» sera achevée lorsque l’eau aura fini par trouer les chaussures. Yoko Ono délègue la réalisation, pour une remise en question du statut de l’auteur.
Dans le même esprit, Stanley Brouwn délègue aux passants la réalisation de This Way Brouwn: le petit dessin présenté est en fait l’itinéraire esquissé par le passant à qui l’artiste a demandé son chemin. L’art naît de situations banales.
Sink, de William Anastasi, pointe la proximité de l’art conceptuel avec l’art minimal, proximité évidente pour deux conceptions de l’art pourtant si différentes.
L’exposition met en relief la pluralité des démarches qui ont mené à l’art conceptuel, toutes différentes mais résultant pour partie d’une époque de forte réaction à une société fondée sur la valeur économique.
Trois jeunes artistes (Guillaume Leblon, Elodie Seguin et Christoph Weber) sont intégrés à l’exposition, de façon tout à fait naturelle. Leurs Å“uvres témoignent d’un héritage bien reçu, voire d’un hommage à certaines figures pré-conceptuelles: elles se fondent littéralement avec celles de leurs aînés.
Ces démarches procédant d’une dématérialisation de l’art, d’un esprit souvent tautologique, typiques des années 60, allaient vers un art qui voulait échapper à la galerie et à son système marchand. C’est pourtant la galerie qui se charge ici de faire le point sur ces «pionniers» et sur leurs résonances contemporaines.