Dominique Gonzalez-Foerster présente son travail au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Expodrome n’est pas une exposition d’œuvres au sens classique du terme, c’est un «espace partagé» (1), «un terrain de jeu» (1), pour reprendre les mots de l’artiste. Expodrome consiste en un aménagement particulier de l’espace de l’ARC, conçu et pensé comme une zone poly-sensorielle que le visiteur est invité à traverser librement.
Sur les premières marches, il peut s’installer confortablement face à un écran rayonnant d’images aériennes et lumineuses (Solarium). En arrivant à l’étage, il découvre un alignement de blocs sombres et anguleux disposés à l’orthogonale d’un mur miroir (La Jetée). Plus loin, il déambule à travers un espace sonore qui le projette dans une ambiance de mousson tropicale. Au bout de cette Promenade, attiré par un étrange reflet sur un mur gris, il découvre un long panneau horizontal incrusté d’une multitude de points lumineux et colorés, qu’il est possible d’associer à un Panorama sur une ville et de nuit.
Le Tapis de lecture est un carré de moquette où sont disposées quelques piles de livres; les visiteurs intéressés peuvent à leur guise s’offrir ici un moment de lecture en attendant d’être invités à pénétrer dans le Cosmodrome. L’espace est entièrement obscurci, un sable noir recouvre le sol. Une fois les spectateurs installés une séquence musicale et lumineuse est lancée. Neuf minutes plus tard, ils en sortent pour se diriger vers l’espace consacré à la projection des films de DGF, selon une programmation précise, espace intitulé Le Cinéma.
L’importance des titres est revendiquée à travers leur inscription monumentale sur les murs. Cette variation ostensible et démesurée du cartel oriente sensiblement l’approche de l’œuvre à partir de sa désignation, en même temps qu’elle revendique les différentes collaborations de l’artiste qui fait de ses multiples partenariats une des composantes importantes de son travail, sinon essentielles.
Expodrome est un dispositif qui place le spectateur au centre, nous dit-on. Il réunit «plusieurs espace-temps déclencheurs d’expériences singulières […]. Ces environnements visuels, sonores, physiques, forment un voyage exploratoire, ‘au bord de l’exposition’. Celle-ci est pour l’artiste le medium de référence qui permet, par l’exploration de ses limites, de produire des situations qui sont autant de scènes possibles pour un spectateur en déplacement».
Ces intentions méritent effectivement d’être rappelées. Et il ne faut pas douter que les visiteurs y soient sensibles. Le bain de soleil est réconfortant, l’ambiance tropicale rafraîchissante et exotique, le panorama scintillant et synthétique, le tapis de lecture utilisable et lisible, le Cosmodrome divertissant et dépaysant, la Jetée encombrante et projective.
Puisque placé au centre du dispositif, il reste au visiteur sensible de s’interroger tout d’abord sur l’intérêt qu’il trouve à être successivement réchauffé, rafraîchi, étonné, distrait ou encombré, mais également sur sa capacité à vivre singulièrement ces «expériences spatio-temporelles» successives, et la différence qu’il y voit avec sa vie de tous les jours.
On comprend le projet de cette artiste de renommée internationale qui reconnaît se situer à la frontière entre plusieurs domaines de création que ce soit le cinéma, la mode, la musique ou l’architecture. Ses propositions tentent de redéfinir, au minimum de déplacer, les registres de l’œuvre et de son exposition vers de nouvelles modalités plus ouvertes et plus inventives en affirmant «la nécessité d’un espace ouvert et expérimental, sans contrainte. C’est ma manière de résister à la régression actuelle, que je n’aurais jamais cru imaginable: tout se resserre de manière toujours plus autoritaire» (2).
Expodrome en tant que parcours dégagé et ouvert s’offre effectivement à toutes les appropriations sensibles et déambulatoires, mais il n’est ni plus ni moins dénué de contraintes qu’un autre parcours d’œuvres, aussi discrètes ou spectaculaires soient-elles et face auxquelles les visiteurs exercent inéluctablement leur faculté de découverte et d’interprétation, de projection et de décryptage, d’objectivation et de subjectivation, de reconnaissance et de détachement.
Il se pourrait en revanche que cette «résistance» soit perçue plutôt comme un abandon ou un renoncement. Le spectateur peut être séduit par ce dispositif qui l’englobe et le prend à parti, il se pourrait aussi qu’il se trouve flatté par la place de choix qui lui est visiblement réservée, à moins qu’il ne ressente cette feinte d’une œuvre en creux, comme un évitement, pire un évidement du sens.
C’est en tout cas le risque que prend DGF. «En me frottant à l’architecture ou à la musique, j’ai eu cette sensation d’étrangeté que je recherche toujours. Cela m’a donné de l’énergie, et aussi l’envie d’un rapport différent au public, au temps ; de pousser encore plus loin cette notion d’œuvre limite: on est toujours formaté par son propre milieu» (2).
Les préoccupations de DGF semblent toujours se situer en termes d’espace, de milieu, de limite, de bord, de centre et de périphérie: l’espace de l’œuvre, de l’échange, de la collaboration, l’espace de l’artiste, de son milieu d’origine, du milieu de l’art, l’espace de l’exposition, de la scène, de l’écran, l’espace du visiteur, du spectateur, l’espace du voyage, l’espace des transports et des ses diverses moyens.
A diverses fortunes, c’est bien de transport qu’il est question partout dans son œuvre. «Les gens croient souvent que je me drogue, pour aller si loin, s’amuse-t-elle. Mais non: je suis tombée dedans quand j’étais petite» (2). Transportés, nous le sommes parfois face aux images filmiques de DGF qui témoignent très sensiblement de ses voyages et du regard qu’elle porte sur l’autre bout du monde.
Les métamorphoses incessantes de l’image, l’imperceptible glissement du réel en tableau nous entraînent dans un voyage contemplatif et délicieux imprégné d’une légère nostalgie pour le fondu enchaîné de la soirée diapo.
Ses environnements en revanche ne nous déplacent guère plus loin que quelques stations de métro. L’ambiance sonore de la Promenade n’a rien à envier à certaines scénographies parfaitement illustratives du Musée d’histoire naturelle et le voyage intersidéral de Cosmodrome, à défaut d’être sidérant et tout en ne parvenant pas à rejouer le charme désuet du décor de Star Trek, fait pâle figure comparé à une bonne séquence de planétarium au Palais de la découverte.
Peut-être est-ce sur la question de la fiction, qui traverse également l’œuvre de DGF, que le visiteur choisira de faire porter sa réflexion ? Fiction d’œuvres ou œuvres de fiction ? Les deux peuvent se défendre.
1. Fascicule de l’exposition Expodrome, Dominique Gonzalez-Foerster et cie au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris.
2. Portrait de DGF, Le Monde, 17 fév. 2007, p. 18.
Dominique Gonzalez-Foerster
— La Fée électricité, 2007, diffusion d’un montage instrumental d’Alain Bashung dans l’espace de Raoul Dufy.
— Tapis de lecture, 2000-2007, installation.
— Le Cinéma, sélection de films ou d’extraits de films réalisés par l’artiste depuis 1996.
Dominique Gonzalez-Foerster et Nicolas Ghesquière
— Solarium, 2007, projection vidéo.
— La Jetée, 2007, installation.
Dominique Gonzalez-Foerster et Christophe Van Huffel
— Promenade, 2007, œuvre sonore.
Dominique Gonzalez-Foerster, Benoît Lalloz et Martial Galfione
— Panorama, 2007.
Dominique Gonzalez-Foerster et Jay-Jay Johanson
— Cosmodrome, 2001, environnement sonore et lumineux.