L’exploration sous-marine demande une préparation et des moyens techniques complexes. Pourtant, notre pensée peut les supprimer. C’est une possibilité rationnelle qui «provient de la raison et non de l’expérience» (Le Petit Robert). La frontière qui sépare la possibilité rationnelle de la possibilité réelle de l’expérience est par endroits extrêmement bien gardée. Et pourtant Philippe Ramette semble la franchir allègrement. Il nous apparaît comme un travailleur frontalier dont l’activité consiste essentiellement à traverser la frontière entre pensée et expérience aux endroits où la traversée semble (justement) impossible. Mais, paradoxalement, c’est lui, qui paraît tellement à l’aise, qui est peut-être plus que tout autre conscient des difficultés physiques qui s’opposent au passage au point de réduire sa réalisation à un seul instant.
Une vidéo présentée en fin d’exposition nous montre tout ce qui a été mis en œuvre pour immortaliser ces instants de sorte que le spectateur puisse désormais faire l’expérience d’une durée devant la photographie. Nous pouvons désormais contempler, à tout loisir, Ramette assis immobile sur un rocher sous la mer, son sac à dos posé à côté de lui (La Pause) ou allongé sur le sable sous-marin, faisant de toute évidence, « la sieste ».
Ses poses sont celles d’un randonneur : des poses généralement simples, intelligibles. Les titres sont descriptifs. Mais l’article défini qui les accompagne donne l’apparence d’une scène générique. Comme si ce n’était pas une attente spécifique, mais bien l’attente en elle-même qui était représentée là , celle, en l’occurrence, du promeneur sous-marin. Le geste, souvent lié à un objet, est tel qu’il caractérise visiblement la situation représentée, comme, par exemple, le fait de regarder sa montre caractérise le fait d’attendre.
Plusieurs photographies attirent notre attention sur un détail particulier de l’environnement, souvent un objet, qui a une fonction double : tout d’abord rendre l’image intelligible. Ainsi La Carte difficilement dépliée indique-t-elle que le nouvel arrivant essaie de se repérer dans son environnement comme le sac à dos, posée à côté de l’artiste sur un rocher sous-marin renvoie à la pause obligée d’une randonnée en haute montagne. Mais la simplicité de l’acte représenté et son intelligibilité immédiate, qui nous renvoient à un univers connu, ont une deuxième fonction : rendre plus déroutant le fait que tout cela se passe (en réalité) sous la surface de l’eau. Car ce changement de paysage devient d’autant plus dépaysant pour la perception qu’il est associé à des actions humaines extrêmement simples et reconnaissables.
C’est là une des leçons de René Magritte : l’effet déconcertant de l’affirmation visuelle d’une absurdité dans une image augmente dans la mesure où les situations ou objets représentés sont reconnaissables. Mais l’usage de la photographie (classique, sans recours à une quelconque forme de trucage numérique) ajoute une dimension par rapport à un travail pictural comme celui de Magritte : comme nous dit Roland Barthes, «la photographie [dit] à coup sûr ce qui a été […]. Toute photographie est un certificat de présence». Ainsi la différence entre imaginer, décrire et dessiner un homme sous la mer et l’y photographier est infiniment grande. Il suffit de voir les dessins préparatoires de Ramette pour s’en rendre compte très clairement. Au contraire du dessin, la photographie nous montre que quelqu’un, en l’occurrence Philippe Ramette lui-même, «a fait cela». En ce sens, le titre de la série («Exploration rationnelle des fonds sous-marins») serait paradoxal. Car l’exploration a bien été réelle, elle a impliqué l’activité physique de l’artiste.
L’exploration rationnelle, si elle a lieu, devrait donc avoir lieu du côté du spectateur : à partir du moment où Ramette fait exister ces photos comme certificats apparents de la possibilité réelle de ce qu’elles représentent, il élève leur contenu du domaine de l’irrationnel vers le domaine du raisonnable où notre exploration rationnelle peut (re)commencer à un niveau supérieur de netteté.
Traducciòn española : Santiago Borja
Philippe Ramette
— A contre-courant (hommage à Buster Keaton) , 2006. Encre sur papier. 32 x 24 cm.
— Le Contact, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Encre sur papier. 32 x 24 cm.
— Contemplation irrationnelle : la mer, 2006. Encre sur papier. 32 x 24 cm.
— Le Contact, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— L’ Inversion, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— L’ Ascension, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— L’ Ancre, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— L’ Attente, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— La Pause, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— La Carte, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— La Sieste, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— L’ Arrivée, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— Promenade irrationnelle, série «Exploration rationnelle des fonds sous-marins», 2006. Photographie couleur. 120 x 150 cm.
— Rupture de pesanteur, 2006. Bronze. 225 x 63 x 60 cm.
— Main tendue, 2006. Bronze. 50 x 31 x 13 cm.