Tout commence avec le carton d’invitation. C’est chez vous que vous recevez grandeur nature une des affiches de l’exposition, vous invitant justement à vous rendre à l’exposition des affiches. Jérôme Saint-Loubert Bié est le chef d’orchestre de ce jeu qui fait allusion au fameux tableau de John Baldessari Un tableau qui est sa propre représentation (consistant en la consigne des lieux où il a été exposé depuis les années 1960… et par conséquent grossissant d’expo en expo).
Et le projet proposé par Jérôme Saint-Loubert Bié s’inspire des cartons d’invitations réalisés spécialement par Laurence Weiner, Martin Kippenberger ou Marcel Broodthaers pour l’exposition de ce tableau réflexif.
Parallèlement à réflexion classique de l’œuvre d’art dans son rapport à la reproduction, l’exposition réfléchit sur le concept d’«auteur», les deux questions parallèles finissant par se croiser. Brouillant les frontières entre l’artiste et le commissaire d’exposition, Jérôme Saint-Loubert Bié a donc demandé à treize artistes ou designers de créer deux affiches chacun, les laissant libres de signer ou pas.
Il s’ensuit une véritable réflexion sur le concept d’auteur. Qui a la paternité de ces affiches annonçant leur propre exposition ? Quel est le rôle joué par Jérôme Saint-Loubert Bié? S’agit-il d’une œuvre collective ? Souvent, les affiches commandées fonctionnent par paire. Mais le spectateur est invité à les regarder une par une. Chaque affiche fonctionne comme une œuvre en soi.
Un premier jeu de treize affiches est visible à la galerie Cardenas Bellanger. Mevis & van Deursen signent de manière à peine visible leur affiche graphique aux typos noires, blanches et bleues, et légèrement décalées vers la gauche, ce qui rend difficile la lecture du message. Dave Muller, lui, ne signe pas son nom plus gros que celui de ses camarades, et reste mystérieux quand il propose un paysage avec des vaches. Les graphistes de Stripe proposent, quant à eux un poster néo-art nouveau, avec des arabesques dignes de Mucha et qu’ils signent.
Vier 5, qui signent les affiches de la Dokumenta de Kassel, proposent aussi un travail graphique mêlant les typologies et les lignes géométriques. Yann Sérandour offre un texte neutre, purement informatif et centré en haut d’une affiche considérée comme une feuille. Il ne signe pas cette œuvre qui pourrait paraître translucide sans une touche personnelle : un renvoi vers une note de bas de page qui n’existe pas confère une profondeur métaphysique à l’affiche… A moins qu’il ne nous invite déjà à quitter l’atelier Cardenas Bellanger pour voir le jeu d’affiches complémentaires à la galerie de Multiples.
L’artiste Jian-Xing Too expose un travail couleur rouge sang de typographie. L’éditeur Christoph Keller, Revolver books , a demandé à ses enfants de taper le texte d’invitation à la machine, ce qui donne lieu à un couac inesthétique et néanmoins touchant. Francis Baudevin représente l’exposition comme une tâche de photocopieuse, ou alors un signe imperceptible. Regular affiche le message comme « trophée » de chasse, avec toute une panoplie de bois de cerfs et d’encre vermillon.
L’affiche de Documentation Céline Duval s’inspire d’une ancienne carte postale touristique pour nous inviter à la visite. Les graphistes d’ Experimental Jetset jouent avec les lettres du nom même de Jérôme Saint-Loubert Bié. L’anagramme donne : Motel- Bier- Boat-Injuries, les deux O du noms ressemblant à deux boutons.
Enfin, les artistes Daniel Eatock et Jonathan Monk proposent de nouvelles mises en abyme de l’exposition, soit de nouvelles pistes de réflexion sur la reproduction et la signature. Eatock a joué la carte de l’interdépendance, du mystère, et de l’accumulation, en demandant à l’imprimeur de compiler les 12 autres affiches et de les tirer les unes sur les autres. Jonathan Monk s’est contenté de montrer la lettre de commande que lui a envoyée Jérôme Saint-Loubert Bié, mettant ainsi à nu les rouages de l’exposition, tout en reproduisant la missive qui a généré l’événement.
Si les affiches demeurent des œuvres graphiques et imprimées en deux dimensions, les jeux de réflexions, des représentations, et de mises en abyme qu’elles engagent, invitent à multiplier les zones de recherche, dans une quête qui dépasse conceptuellement l’ancienne tradition baroque du trompe-l’œil.
Et la multiplication des dimensions n’est pas que conceptuelle. Elle est aussi géographique et temporelle. Le jeu de miroirs atteint ainsi 4 dimensions, et renvoie à une infinité de possibles et de dissemblables. Chacune des 13 affiches de l’atelier Cardenas Bellanger invite à se rendre à la galerie de Multiples pour voir la deuxième affiche produite par chaque artiste.
Jérôme Saint-Loubert Bié
—13 affiches de…/i>, 2007. 13 affiches, impression offset. 90 x 60 cm.