— Auteurs : Nicolas Bourriaud, Jean-Marc Chapoulis, François Jullien, Michel Maffesoli, Hans-Ulrich Obrist, Thierry Raspail, Jérôme Sans
— Éditeur : Paris musées, Paris
— Année : 2005
— Format : 14 x 21 cm
— Illustrations : env. 350, en couleur et en noir et blanc
— Pages : 384
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-87900-929-4
— Prix : 39 €
Présentation
par Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans
La Biennale de Lyon 2005 est une exposition qui, prenant en compte les différentes étapes de sa conception, se propose d’articuler entre eux des thèmes complémentaires, reliés par la notion de temporalité, qui nous a servi de fil rouge. Aborder le temps, c’était pour nous une manière de faire l’inventaire des années quatre-vingt-dix, à partir desquelles l’art fonctionne comme une sorte de banc de montage sur lequel les artistes peuvent recomposer la réalité quotidienne. Modification des vitesses de passage des formes, pauses, mises en boucle, différés, synchronisations, ralentis ou accélérés : pour les artistes des années 1990-2000, le temps représente un matériau de construction davantage qu’un simple support, et la maîtrise de la durée et des protocoles temporels de l’exposition est devenue un enjeu esthétique majeur au même titre que celle de l’espace. Il s’agit de réaffirmer que l’œuvre d’art est un événement avant d’être un monument ou un simple témoignage, et l’esthétique, aussi une affaire d’énergétique. À rebours des tentations actuelles du retour aux catégories traditionnelles de la peinture et de la sculpture (et de la vidéo), nous voulions insister sur le fait que l’art constitue une expérience qui engage le regardeur.
Nous avons ainsi été amenés à prendre en compte l’importance de l’héritage de l’art conceptuel (de Douglas Huebler à Josephine Meckseper, en passant par John Miller, Erwin Wurm, Carsten Hôller ou Allora 8e Calzadilla) et du mouvement Fluxus (Yoko Ono, Erik Dietman, Dieter Roth, mais aujourd’hui Surasi Kusolwong ou John Bock), pour qui le temps de la production artistique était indissociable du temps vécu. Quelle est l’actualité de ce questionnement? N’est-il pas nécessaire de réévaluer certaines pratiques qui nourrissent encore l’art d’aujourd’hui? Il s’agit en tous cas d’une biennale débarrassée de toute monomanie prospective, qui ne s’inscrit pas dans cette rotation rapide des valeurs qui imprègne parfois trop les grandes expositions internationales. Nous avons préféré le mode du dialogue : celui de Dieter Roth avec John Bock, de Tom Marioni avec Erwin Wurm ou Rivane Neuenschwander, de James Turrell avec Ann Veronica Janssens, etc. Au point d’intersection de ces différentes pistes se trouve la notion de longue durée : non pas la lenteur, qui s’avère être un jugement de valeur sur le temps, mais la dimension du projet. Le long terme est le temps du projet, du développement durable, qu’il est important aujourd’hui de défendre contre le zapping généralisé et le turnover marchand.
Ce ne sont pas «les années 70» en général qui nous ont intéressées, mais cette tentative de contre-culture qu’a été l’expérience hippie, laboratoire de nouvelles formes de vie. Ces années d’émancipation et de remises en cause tous azimuths semblent, par ailleurs, contenir sous une forme encore virulente toutes les problématiques de ce début de vingt-et-unième siècle : le féminisme, le multiculturalisme, la lutte des minorités sexuelles, la spiritualité «New age », l’expérience communautaire et relationnelle, l’écologie, l’orientalisme, la décolonisation, le psychédélisme… Mais par dessus tout, elles constituent un modèle de refus de la société de consommation. De la croissance zéro au retour à la nature, l’aspiration à la «subversion par le bonheur » demeure intacte chez les artistes actuels, même s’ils empruntent d’autres voies et s’avèrent moins optimistes et plus complexes que leurs aînés. Toutefois, l’esprit expérimental de la contre-culture des années 70 flotte sur cette Biennale 2005, avec La Monte Young 8e Marian Zazeela, Terry Riley, Tony Conrad, Brian Eno, Yoko Ono, Tom Marioni, Robert Crumb, Gordon Matta-Clarck, Robert Malaval, Jonas Mekas, Andy Warhol ou James Turrell… «Expérience de la durée» n’est toutefois pas une exposition historique, et nous n’avons pas l’ambition de monter une rétrospective, mais au contraire d’utiliser l’énergie et les motifs de ces années post-68 pour éclairer le présent.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Paris musées — Tous droits réservés)