L’expédition est un des principes de la pratique artistique: défrichage de nouveaux territoires, conquête d’espaces inconnus et figure de l’artiste en héros pionnier. Partir implique une part d’aléatoire, de recherche de ses propres limites, mais aussi une introspection à même de tracer des voyages intérieurs. La photo et la vidéo accroissent ce degré de recherche, invitant le spectateur à entrer en empathie avec l’artiste-aventurier.
L’exploration de territoires dresse une cartographie du connu et de l’inconnu dans les pas d’explorateurs et d’artistes déjà partis. Dans la reconstitution sonore d’un voyage sur les traces de la fameuse Spiral Jetty de Robert Smithson, l’artiste Tacita Dean s’ingénie à explorer les mythes disparus de la modernité du Land-Art. Un espace virtuel se crée, à partir duquel s’extrait le parcours de visions à la disparition programmée.
Même impression dans les photographies de Dove Allouche qui, dans les panoramas campagnards ayant servi au tournage du film Stalker de Tarkovski, explorent les ombres de réalités défuntes.
Avec le diaporama de Joachim Koester l’expédition se fait plus sombre, dans le sillage des explorateurs de l’Arctique de la fin du XIXe siècle. Le froid gomme toute impulsion humaine : le défilé de vues de banquises rend la vision extatique, et complètement caduques les indications géographiques en surimpression.
Dans l’œuvre de Daniel Roth intitulée Gate of Invisibility, la restitution de l’exploration prend comme point d’ancrage l’association incongrue d’une photographie du gouffre de Padirac, d’une structure métallique et d’un dessin.
Agissant à rebours, par évocation de mondes fantastiques, l’installation trame des nœuds de fictions, entre architecture souterraine et adaptation avec le milieu naturel.
Les photographies de Simon Boudvin, prises dans des carrières aménagées et éclairées pour l’occasion de néons, donnent un tournant anxiogène. L’effet de claustrophobie est maximum avec la restitution, au plafond de la galerie, de la Terre à peine extraite de ces chantiers. Il reste une ampoule éteinte et les fenêtres de la galerie pour ponctuer cet espace vide à l’issue obstruée.
L’exploration devient un circuit fermé, à l’image de la vidéo de Hans Schabus. Une caméra placée sur un train miniature sillonne l’atelier de l’artiste et en présente les coulisses. La répétition en boucle contribue à rendre l’exploration plus lacunaire et l’espace moins étranger.
De manière aussi indicielle, le dessin inachevé de Mathieu Kleyebe Abonnenc d’une forêt tropicale rend difficile la projection au sein d’une fiction. Trop vierge pour être réapproprié, on apprendra cependant que le dessin renvoie à l’histoire de la traite des noirs et à la colonisation.
Finalement, le héros de l’exploration reprend du service avec les pérégrinations vidéo de Laurent Tixador et Abraham Poincheval. Mais nous ne y trompons pas: sous couvert de performances physiques filmées, comme le fait de passer huit jours en survie sur l’île du Frioul ou en haut d’un building en Asie, se cache la recherche d’un inconnu, non plus exotique mais identique à soi-même.
Loin de toute ironie, la persistance à explorer ce qui est étranger et finalement si familier, renvoie à la déréliction de l’explorateur. Touchant à la solitude de l’aventurier romantique, l’intensité subtile et inquiétante des œuvres rappelle que l’infini est l’horizon inatteignable de son propre dépassement.
Dove Allouche
—Le Temps scellé, 2006. Série de 13 photographies. 30 x 40 cm chacune.
— Le Temps scellé, 2006. Série de 13 photographies. 30 x 40 cm chacune.
Simon Boudvin
— Concave 04, 2007. Photographie. 120 x 150 cm.
Mathieu Kleyebe Abonnenc
— Paysage de traite, 2005. Dessin mural au feutre.
Laurent Tixador et Abraham Poincheval
— Total Symbiose 3, 2006. Vidéo couleur sonore. 18 min.
Daniel Roth
— Gate of Invisibility, 2005. Installation en deux parties. Bois, peinture, crayon sur papier. C-print. 105 x 70 x 25 cm. Terre, polystyrène, colle, peinture. 57 x 83 x 38 cm.