Dove Allouche, Simon Boudvin, Tacita Dean, Mathieu Kleyebe Abonnenc, Joachim Koester, Daniel Roth, Hans Schabus, Laurent Tixador & Abraham Poincheval
Expéditions
Après «Fabriques du sublime» (2005) et «Cosmogonies» (2006), l’exposition collective «Expéditions» marque une nouvelle étape dans la programmation de La Galerie.
Interrogeant les motivations des premiers explorateurs qui partirent à la découverte de territoires inconnus, l’exposition aborde la notion d’expédition sous l’angle de la quête et de l’introspection. Pour ceux qui en font l’expérience, la destination d’un tel voyage est une surface de projection croisant témoignages du passé, légendes et récits potentiels. Chargé de cette histoire, le lieu de l’exploration n’en demeure pas moins incertain. Celui-ci se présente comme une cible aux contours indéfinis, une zone d’ombre, un territoire à la frontière de l’abstraction. Censée résoudre cette énigme, l’expédition elle-même, retardée par ses détours et déroutes, peut s’éloigner de son objet initial, pour laisser progressivement place à une quête intérieure. Aussi organisée et scientifique soit l’expédition, c’est du côté de cet égarement possible que se situe le point de départ de cette exposition.
Plus que l’expédition au sens strict, c’est précisément la relation de l’homme à un territoire insondable qui lie les différentes œuvres de l’exposition. Le diaporama de Joachim Koester présente un immense paysage de glace photographié au Groenland d’après la description qu’en avait faite l’explorateur Adolf Erik Nordenskjöld dans son journal de 1870. À une perte totale de repères induite par la virginité de ce paysage correspond la tentative, presque vaine, d’avoir prise sur cette réalité. Dans l’installation de Daniel Roth, composée d’une sculpture, d’une photographie et d’un dessin, c’est une grotte qui ouvre sur un monde invisible, excavation tellurique dont les profondeurs annoncent les prémices d’une civilisation souterraine. De même, l’exploration se traduit chez Simon Boudvin par la réalisation à l’aveugle de photographies d’anciennes carrières de pierre, architectures en négatif qui se transforment en espaces investis.
C’est à partir d’une réalité quotidienne toute matérielle que les artistes inventent d’autres formes d’expéditions. Choisissant des lieux a priori moins dépaysants que les « milieux extrêmes », ils s’attachent à y déceler, au-delà des apparences, une dimension inconnue, par l’expérience d’un glissement ou d’un retournement de situation. Ainsi, l’espace se trouve littéralement renversé dans une autre installation de Simon Boudvin, contribuant encore à une perte de repères.
Dans sa vidéo Passagier, Hans Schabus transpose un voyage ferroviaire dans son lieu de travail, chargeant ainsi de mystère l’atelier, qui devient le lieu de tous les possibles. Quant à la démarche de Laurent Tixador et Abraham Poincheval, visible à travers une sélection de vidéos et d’objets, celle-ci se tourne vers des environnements apparemment dénués d’exotisme pour y redécouvrir ce que nous pensions déjà connaître. Chez les uns comme chez les autres, l’expédition apparaît moins comme une aventure que comme une tentative, avec la part d’échec qu’elle implique.
Enfin, dans nombre d’oeuvres, l’expédition prend la forme d’un voyage initiatique, s’inscrivant dans les pas d’autres individus, qu’ils soient explorateurs (Nordenskjöld pour Koester) ou artistes eux-mêmes, pour revivre une expérience appartenant à l’histoire. L’œuvre de Tacita Dean est la transcription sonore de son voyage en Utah pour tenter de retrouver, trente ans après sa construction, la Spiral Jetty Robert Smithson, oeuvre par nature changeante, entre apparition et disparition. Partant à la quête d’une œuvre elle-même fondée sur la quête, la bande-son nous fait partager les hésitations des deux protagonistes, malgré la précision des instructions, à atteindre leur cible. Dove Allouche, quant à lui, se rend en Estonie vingt-sept ans après le tournage par Tarkovski de Stalker, pour retrouver en photographie les lieux, quasiment inchangés, de la «Zone».
À l’image de la «Zone», le lieu de l’expédition tel que cette exposition l’aborde est un espace-temps insaisissable. Réserve d’imaginaire où toutes les projections sont permises, certes, son existence peut aussi résulter d’une mise entre parenthèses volontaire. Parties laissées vierges sur un dessin mural de Mathieu Kleyebe Abonnenc qui rappelle un panorama d’inspiration coloniale, ces zones d’ombre, entre inachèvement et effacement, questionnent la notion de virginité. Loin de l’exotisme généralement associé à cette notion, Paysage de traite 03 nous rappelle que l’expédition a également sa part d’oubli.
critique
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