Au départ attendu aux Inaccoutumés 2011, le solo Exécutions n’a pu se jouer à la Ménagerie de Verre pour cause de blessure, et c’est donc avec autant d’impatience que de plaisir que nous avons pu le découvrir avec quelques mois de retard dans la Grande Salle du Centre Pompidou.
Du white cube du 11ème arrondissement au vaste plateau noir de Beaubourg, la pièce a sans doute gagné en majesté, offrant un espace plus théâtral et plus vaste où laisser Julie Guibert, la danseuse pour qui a été créée la pièce, déployer toute l’étendue de son talent.
Dès les premières minutes on imagine comment la belle a pu se blesser, tant la pièce multiplie les prises de risques.
Il s’agit d’abord pour la danseuse d’abandonner son poids au sol comme on fait don de soi, en toute confiance, à quelqu’un. Sauf qu’ici personne pour retenir l’interprète qu’un ultime appui du pied dans le sol… surgi au dernier moment, presque à regret comme si il s’agissait d’effacer autant que possible le caractère artificiel d’un tel geste, cet allongement dans le sol, déposition volontaire qui contredit notre désir d’érection.
La chute, motif central de cette danse, apparaît ici non seulement explorée de manière itérative mais surtout traitée comme si elle était un mouvement désiré, autre chose qu’une conséquence de la gravité.
Sur le sol a été défini un périmètre rectangulaire, comme une aire de jeu, une surface de combat. On pense à un art martial, un combat de judo contre soi-même ou avec un corps invisible, provoquant des développements dans l’espace en même temps qu’un effondrement en soi. Julie Guibert semble en effet continuellement chercher à construire un équilibre gestuel pour le défaire en un même mouvement, un même geste.
Et ce va-et-vient entre deux états fonde dans l’instabilité même la possibilité d’une grâce. Avec une maîtrise évidente, la danseuse tutoie, titille la chute tandis qu’elle dessine des figures: se multiplient les cambrés tandis que les genoux ouvrent des pliés impensables, qu’un bras se lève de façon obstinée ou qu’elle esquisse un geste éloquent.
Elle explore différents niveaux, différents moyens de faire jouer l’en dehors avec l’en dedans, à partir d’une répétition de motifs elle-même scandée en moments musicaux, contraste de styles qui justement affranchissent la danse d’une quelconque appartenance à un genre. Au mieux la bande-son colore le mouvement; le plus souvent elle apparaît glisser à ses côtés, reconduire ce jeu entre surfaces, extérieur et intériorité. Parfois aussi la musique semble dicter au corps certains déplacements, certains gestes, mais pourtant jamais le mouvement ne semble inféodé à celle-ci. C’est l’interprète qui dirige, de son regard clairvoyant, l’intensité comme la délicatesse du jeu, nous offrant vraiment le bonheur d’assister à une forme d’exploration, celle d’une dimension qui n’appartient qu’à ce corps-là , cet individu.
Herman Diephuis offre à sa danseuse une chorégraphie qui se révèle comme un vêtement, de ceux dont seule la personne qui le porte sait révéler toute l’allure.