Communiqué de presse
Wilfrid Almendra, Pierre Bismuth, Nick Devereux, Iris van Dongen, Gardar Eide Einarsson, Lisa Oppenheim
Ever Prosperity
Le Ever Prosperity était un cargo de la série des «Liberty ships», basé à Monrovia au Libéria. En 1965, il s’échoua sur la barrière de corail de la côte ouest de la Nouvelle-Calédonie. En 1970, son navire-jumeau, qui appartenait au même armateur et avait hérité du même nom et du même capitaine coréen, connut le même sort, à quelques miles nautiques du premier naufrage.
Bravant la malédiction qui semble ironiquement peser sur ce nom pourtant si plein de promesses, l’exposition «Ever Prosperity» réunit les Å“uvres de six artistes, qui appliquent ici leur démarche de travail sur un matériau culturel préexistant.
Ainsi, Wilfrid Almendra confronte les formes utopiques du projet New Babylon de l’artiste néerlandais Constant Nieuwenhuys à celles des quartiers pavillonnaires et des zones industrielles.
D’abord à travers deux sculptures (While Waiting for the Revolution, 2010), composées chacune d’un socle triangulaire — le triangle étant une forme fréquente chez Constant, liée au nomadisme — surmonté d’une forme évasée. L’un des socles est fait de planches recyclées de palettes, portant les stigmates d’un processus industriel: utilisées pour le sablage de pièces métalliques, les veines du bois sont creusées, et la peinture du métal a imprimé sa surface; l’autre socle, en béton, a été coffré avec les mêmes planches, qui ont laissé leur empreinte en négatif.
La forme posée sur chacun des socles reprend celle d’un château d’eau très sculptural et familier pour l’artiste, qui rappelle les observatoires imaginés par Constant; l’un, sur le socle en béton, est en marqueterie de bois, comme un coffrage non démoulé; l’autre, sur le piédestal en bois, est en béton coffré. Wilfrid Almendra joue ainsi sur les effets de positif/négatif, et de sérialité chers à Constant.
L’artiste est également intervenu sur deux agrandissements de photographies de maquettes de la ville utopique de Constant, les livrant à leur destin pavillonnaire à coups de gros crépi et de placage de bois (Second Skin, 2010).
Pierre Bismuth, quant à lui, effectue la synthèse impossible entre les deux visages du Le Corbusier des villas blanches et de celui des grands ensembles, avec l’humour et l’économie de moyens qui lui sont propres: il superpose, en maquette, coupes et image de synthèse en situation (Complexes des villas/Bâtiment Le Corbusier, 2010), plusieurs Villas Savoye pour créer un immeuble que n’aurait peut-être pas renié l’architecte suisse — n’était-ce les carcasses de voitures brûlées qui gisent au pied.
Gardar Eide Einarsson applique sa grille de lecture noire et blanche à une peinture, forcément très colorée, de Roy Lichtenstein, la changeant de registre, du pop vers l’abstraction (Seascape, 2010).
Nick Devereux, de son côté, orchestre de subtiles allers retours: entre mouvement et immobilité, à partir de la peinture de Jackson Pollock et des photographies de lui prises par Hans Namuth; également dans le temps, entre la peinture du Caravage et le film que lui a consacré Derek Jareman.
Dans ses dessins comme dans ses peintures, Nick Devereux emploie une technique ancienne, utilisée par exemple par Diego Velasquez pour Les Ménines, qui ne vise pas à rendre une réalité «photographique», mais se concentre sur les éléments perçus par l’Å“il, c’est-à -dire essentiellement volumes et lumières, apportant ainsi une réponse originale à la question conceptuelle de la représentation. Nick Devereux l’applique non à des êtres ou des objets, mais à de petites sculptures qu’il réalise lui-même à partir de bouts de rien, morceaux de verre ou chutes de tissu; non figuratives, ces sculptures, reproduites avec cette technique, s’animent soudain d’une vie insoupçonnée.
Dans la série «Pollock» (HN — Untitled (HN VI)) (2009) Nick Devereux intervient sur des pages de la première édition française du fameux ouvrage du photographe Hans Namuth, regroupant des clichés de Jackson Pollock en train de peindre dans son studio et qui ont largement contribué à la légende de l’Action Painting dans sa dimension expressive. Dessinant à partir d’une unique sculpture à la composition dynamique, Nick Devereux rend compte des mouvements de Pollock comme un réseau complexe, abstrait mais dynamique de lignes. Entre l’Action Painting de Pollock, la captation photographique qu’en a fait Namuth et la transformation de ces images par Devereux à travers une de ses sculptures puis sa technique de dessin, apparaissent de fascinants allers retours entre mouvement et immobilité.
Dans Version (DG 1986) (2010), Nick Devereux applique un procédé proche à une image tirée du film Caravaggio de Derek Jarman, qui retrace la vie du peintre de la Renaissance; à plusieurs reprises, le réalisateur reconstitue à la perfection des scènes d’atelier appelées à devenir des tableaux du maître. Sur une vue de Saint Jérôme, qui est donc elle-même une reproduction, Nick Devereux peint une maquette qu’il a crée en s’inspirant des lignes de mouvement du tableau.
Enfin, dans Art for the Public: Images from the Collection of the Port Authority (2009), Lisa Oppenheim ravive la mémoire photographique d’Å“uvres de la collection d’art public de la Port Authority de New York et du New Jersey, conservée dans les sous-sols du World Trade Center et détruite lors des attaques du 11 Septembre. Elles n’existent désormais plus que dans les pages du catalogue éponyme de 1986, comme des images fantômes.
Méditant sur ce statut d’«absent présent», Lisa Oppenheim a rephotographié en argentique et développé un positif et un négatif de chaque image, qu’elle a ensuite surimposés ; mais alors que le positif sur le négatif devraient s’annuler, l’artiste opère un léger décalage dans la surimposition, laissant subsister une trace fantomatique.
critique
Ever Prosperity