Communiqué de presse
Bojan Sarcevic
Eventuellement
L’espace de travail de Bojan Sarcevic s’apparente en effet à un processus d’appropriation, une réflexion sur la grande épopée formelle du modernisme, allant du constructivisme russe aux utopies architecturales de l’après-guerre. Toutefois l’artiste ne se contente jamais de citer ou de reproduire: cette matière référentielle n’est que le sédiment d’une oeuvre stratifiée, dépositaire d’une histoire ouverte.
Cet art du déplacement et de la stratification est déjà perceptible dans World Corner (1999), où le fragment d’un appartement « glisse » comme un insert dans le lieu d’exposition, imbriquant le destin de ces deux architectures. Plus délicatement, ces hybridations et réminiscences familières caractérisent Replace the Irreplaceable (2006), feuilletage de bois et de laiton qui rappelle la rampe d’escalier Art Déco aussi bien que les réalisations monumentales d’Adolf Loos, condensant l’épure et l’ornemental, le mouvement et l’hyperstatisme.
A la fois sculptures autonomes, supports de projection et éléments d’architecture, les modules dessinent un parcours rythmé par les projections qu’ils abritent, visions fugitives sur celluloïd qui évoquent elles-mêmes certaines compositions constructivistes. Car si Bojan Sarcevic ne s’y enferme jamais, il approche cette esthétique moderniste et sa grâce rétrofuturiste comme essence -diffuse certes- mais structurante: d’où le caractère très architecturé de ses installations, que soulignent les jeux de symétrie, les rapports d’échelle, de matière et de transparence, l’harmonie des matériaux et des formes.
Dans ces équilibres, la physicalité de l’oeuvre de l’artiste se fait très sensible, comme en témoigne « Involuntary Twitch », sa dernière exposition au De Vleeshal de Middelburg (Pays-Bas, 2010). Conçu en déploiements sériels, l’ensemble frappe par son élégance et son éclectisme matériologique: des cheveux s’entrelacent sur de fragiles brindilles, des aquarelles viennent se poser sur des structures métalliques qui suggèrent des appareils de musculation, des étagères cuivrées semblent échapper aux lois de la gravité…
Autant de rencontres inattendues, toujours qualifiées de titres extrêmement poétiques, où la tension des matériaux se mêle à la polysémie esthétique de l’oeuvre, palimpseste qui invite notre mémoire visuelle à d’étranges flottements spatiotemporels.
En ce sens, comme le formule le critique Jan Verwoert, Bojan Sarcevic crée des « espaces de latence » à la localisation incertaine, des oeuvres qui, dans un même mouvement, définissent et déconstruisent l’architecture, génèrent et suspendent l’action, exhortent la mémoire et la court-circuitent, à la croisée de mythologies personnelles, culturelles et sociales.