Alis/Filliol, Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla, Bruno Botella, Miriam Cahn, Jason Dodge, David Douard, Diego Marcon, Guy Mees, David Musgrave, Antoine Nessi, Reto Pulfer, Samuel Richardot, Pamela Rosenkranz, Sterling Ruby, Michael E. Smith, Benjamin Swaim
Etre chose
Différents milieux, humains et non humains, coexistent. Ces milieux, lorsqu’ils ne s’ignorent pas, se rencontrent à peine. Œuvrant à la bordure de ces mondes, les artistes de l’exposition «Être chose» donnent corps à la possibilité d’une rencontre. Qu’est-ce qu’être chose? Est-ce qu’être humain, c’est n’être qu’une chose parmi d’autres? Une chose peut-elle être, sans pour autant être humaine?
L’exposition «Être chose» réunit des artistes qui tentent de donner corps à une expérience du bord de l’humain. Qu’advient-il du corps lorsque celui-ci s’aventure à la périphérie de lui-même, lorsqu’il se frotte à la frontière de sa propre définition?
Les œuvres rassemblées ici n’envisagent pas nécessairement la séparation entre humains et non humains en termes de discontinuité. Les corps en sont inéluctablement altérés, fragmentés et réassemblés. Ils se muent en figures indéfinissables, évoluant à la croisée de ces mondes. «Être chose», c’est aussi postuler que l’on ne puisse être nommé, que l’on ne puisse assigner un nom à chaque chose. C’est se garder d’un monde qui ne serait qu’humain.
Projeté dans le Phare de Vassivière, Raptor’s Rapture (le ravissement du rapace) de Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla apparaît comme une œuvre clé — la rencontre improbable d’une flûtiste et d’un vautour, seuls êtres encore identifiables de l’exposition.
La nef du centre d’art, placée sous le signe d’Anthroposomething (quelque chose d’humain) de David Musgrave, réunit des corps composites. Une figure transrègne, telle que représentée par Benjamin Swaim, côtoie l’irruption du monstrueux chez Alis/Filliol.
Dans l’atelier, Basin Theology de Sterling Ruby évoque les reliefs d’un repas ou d’une digestion du monde. Plus loin, on bute sur la tête d’un chien, embaumée par Michael E. Smith. Les œuvres de la salle des études invitent à composer avec ce paysage fragmenté. La touche fragile des dessins de Guy Mees semble répondre à la sculpture en forme de rébus de Jason Dodge, dont les éléments épars évoquent en creux une main absente. Le petit théâtre laisse entrevoir un monde extérieur à notre portée, à travers les portraits animistes de Miriam Cahn, ou encore la mue d’un objet domestique en animal imaginaire chez Reto Pulfer.
À Treignac Projet, l’exposition convoque des corps flottants. Au rez-de-chaussée, elle s’ouvre sur une Machine fantôme d’Antoine Nessi, ectoplasme d’une ère industrielle révolue. La toile de Samuel Richardot semble figurer une chose presque aussi volatile que les nuées filmées par Diego Marcon. À l’étage, les œuvres sont le fruit d’une altération de la perception humaine, à l’instar de la sculpture de Bruno Botella, réalisée pour l’exposition et de l’Alieno d’Alis/Filliol, qui paraît avoir été modelé à l’aveugle. Un peu plus loin, les traces d’une présence évanouie peuplent les monochromes abimés de Pamela Rosenkranz, à l’image d’Untouched by Man, sorte de suaire synthétique, ou encore du survêtement devenu fossile de Michael E. Smith.
Tel un organe sorti des décombres, Glory Hole de David Douard recueille la fragile promesse d’une nidation. Dans un recoin, les toiles auratiques de Samuel Richardot flamboient au-dessus des idoles démembrées de Benjamin Swaim. Se dévoile alors, tout au bout de l’exposition, l’immense silhouette d’un gisant, Skeletal tape giant de David Musgrave: les vestiges d’un golem, qui n’est rien d’autre, à l’origine, qu’un embryon de papier.
L’exposition «Être chose» se déploie sur deux lieux en Limousin, le Centre international d’art et du paysage de Vassivière et Treignac Projet, en invitant un artiste, Gyan Panchal, en tant que commissaire associé. L’accrochage est composé à la manière de «climats» et témoigne d’une approche subjective des œuvres comme autant de façons d’être au monde. L’exposition s’achemine d’un espace à l’autre dans un cycle où alternent fragments et condensations. S’y côtoient des familles artistiques aux antipodes les unes des autres, entre excès et retenue. Comprenant en grande partie des objets, des sculptures et des peintures, l’exposition contient peu d’images, comme si celles-ci n’étaient pas à même de rendre compte de ces formes de vie.
Enfin, le propos d’«Être chose» s’inscrit dans une actualité de la recherche en art où une lecture anthropocentrée du monde est plus que jamais remise en question. Sous l’impulsion de travaux d’artistes, d’articles et de colloques (notamment «The Matter of Contradiction» organisé par Sam Basu, Fabien Giraud, Ida Soulard et Tom Trevatt en 2012 sur l’île de Vassivière) se sont multipliées les expositions traitant des relations entre l’homme et le non-humain: «Animism» à Anvers en 2010, «Nature after nature» à Kassel en 2014, «The Noing Uv It» à Bergen en 2015, «Inhuman» à Kassel en ce moment même…
Tout en se nourrissant de ces réflexions, «Être chose» se fonde avant tout sur l’expérience des œuvres qui ont été à l’origine de l’exposition, et sur une approche du sensible empreinte d’un voisinage avec la nature plutôt que d’un quelconque concept.
Marianne Lanavère et Gyan Panchal
Commissariat
Gyan Panchal
Autre lieu
Exposition du 5 juil. au 20 sept.
Treignac Projet
2, rue Ignace Dumergue
19260 Treignac