Shen Yuan
Etoiles du jour
Pièce centrale de l’exposition de l’artiste d’origine chinoise Shen Yuan, Etoiles du jour est une installation composée d’un caisson lumineux sur lequel sont disposées des pièces en résine représentant les yeux de différentes espèces animales. Une lumière blanche transparaît au travers de leurs pupilles surdimensionnées, comme si le dispositif de vision était inversé; pour donner à voir une lumière intérieure, ou bien pour éclairer le monde?
Au sujet de cette œuvre, Shen Yuan suggère que les yeux seraient comme «des reflets de la lumière du cosmos». Elle rappelle que «l’homme perçoit le monde de jour, et l’animal de nuit»; au-delà des apparences, les frontières entre ces deux règnes sont avant tout des projections. L’un peut facilement prendre la place de l’autre. Ne dit-on pas d’un lion qu’il est gracieux, ou d’un homme qu’il est sauvage?
Tels des palets de hockey sur glace en mouvement sur une surface lisse, ces yeux se retrouvent pourtant encerclés de grillage métallique, comme dans une cour de prison. Comme la fonte des glaciers évoquée dans l’œuvre Dérives, Shen Yuan aborde ici la question du déplacement: les mouvements migratoires passés et présents, mais aussi la mobilité des opinions, la volatilité des décisions politiques. Pour l’artiste, les peuples migrants sont comme autant de gens qui «rêvent éveillés» d’un ailleurs, qui se déplacent par nécessité à la recherche de lieux plus cléments, de possibles refuges. Les frontières sont une contrainte qui s’oppose aux besoins naturels de déplacement des hommes comme des animaux. Les différences de langages, de cultures, d’habitudes provoquent souvent le doute et la peur, et font obstacle à l’accueil, à la confiance, comme autant de frontières invisibles.
Cette question de la perception se retrouve également dans Aveugles, œuvre dans laquelle Shen Yuan propose une analogie entre les différentes formes du vivant. En évidant les pupilles de cinq yeux de résine, l’artiste laisse place à des textures et des motifs aléatoires évoquant la nature: un désert, des roches, un marais. En résonance avec le pouvoir de vision déployé dans l’œuvre précédente, la cécité à l’œuvre dans ces pièces est celle de notre propre contemplation des phénomènes naturels ou sociaux: une vision aveuglée.
Cette fluidité, cette porosité entre les catégories de pensée transparaît également dans Dérive. Trois morceaux de porcelaine en forme de glacier sont posés sur un tapis de verre brisé. Ces morceaux de verre forment une coulée, rappelant une rivière en mouvement. Le glacier semble se disloquer, et son mouvement évoque pour l’artiste «une forme de migration biologique». En créant une homologie entre la notion de migration humaine et la dislocation des glaciers, deux phénomènes à l’essor exponentiel, Shen Yuan met à mal la vision moribonde d’une supposée hiérarchie entre les règnes, et suggère que les problématiques de l’homme sont aussi celles de la nature, ou inversement.
Une série de dessins pointe avec ironie ce besoin, toujours d’actualité, de créer des distinctions, et donc de discriminer. Face et profil se compose de cinq diptyques représentant chacun le portrait d’une pomme de terre, de face et profil. Chacun représente une variété et une couleur différente, à l’image de la diversité des origines humaines.
Née en 1959 à Xianyou, Chine, Shen Yuan vit et travaille à Paris depuis 1990.
Vernissage
Vendredi 11 décembre 2015