Quelle différence y aurait-il entre une aquarelle représentant une citrouille et le mot «citrouille»? Pour Étienne Pressager, probablement aucune. «Entre» est peut-être le mot qui pourrait définir la pratique de l’artiste nancéen, à l’image d’une encre sur papier composée de trois pièces: E au sol, NTR au mur, un autre E au sol. Énoncé performatif (au moment où le spectateur lit le mot, il entre dans la galerie et se confronte à l’entre-deux des lettres ENTRE), ou sympathique jeu de mots ? Un peu des deux, sans doute. Mais cette pratique de la lettre laisse également la place à celle de l’aquarelle, délicate et précise où, d’un côté, une citrouille, une quenouille et une grenouille sont coupées en leur moitié pour se continuer dans les mots «citr», «quen», «gre»; en face, l’autre moitié des fruit, objet, animal est s’accompagnée à chaque fois d’un «ouille».
Avec cette pièce-diptyque qui se présente face-à -face, Gadenne réussit un difficile pari de séduction : stimulation visuelle et esthétique par la qualité technique de l’aquarelle, mais aussi interrogation intellectuelle liée à la polysémie du titre de l’œuvre, Les Fées. Les fées sont ici présentes par trois de leurs attributs dont le traitement plastique produit un certain effet et qui, par une coquasse manipulation du signifiant et du signifié, nous met devant les faits accomplis: le mot et la représentation de l’objet qu’il désigne. Plus qu’à celui de Kosuth, on pense au travail caustique d’un Marcel Broodthaers dans son rapport au mot et au canular.
Chaque aquarelle de la série des Rapprochements est agrémentée d’une légende écrite au crayon précisant le lieu, la date et l’heure auxquels l’œuvre a été réalisée. Sur fond blanc, on peut assister à la rencontre fortuite entre un dentier et un haricot, une paire d’yeux et deux œufs au plat, une bouche humaine et un ver de terre, une grenouille et une huître… On comprend le rapprochement tantôt par une similitude formelle (les yeux et les œufs au plat) mais parfois on se sent davantage plongé dans l’univers psychanalytique de la libre association dont les Surréalistes, entre autres, ont fait assez bon usage.
Assez surréaliste, aussi, la vidéo Impératifs qui se compose d’une multitude de saynètes toutes plus absurdes les unes que les autres. Chaque séquence se termine par un mot prononcé à voix haute. Par exemple, une femme et une jeune fille attrapent un croûton de pain et tentent de le croquer, s’en suit le mot «croûton !» ; deux personnages s’échinent à donner à boire du vin à deux mulets : «Guérison!» ; des œufs brouillés cuisent dans une poêle, de chaque côté, deux personnages s’apprêtent à se servir le mets sur deux cahiers de brouillon : «Brouillon (s) !», etc.
Le travail d’Étienne Pressager est séduisant parce qu’il jongle avec des représentations auxquelles il inflige des petits décalages qui piquent la curiosité. À l’alphabet, l’artiste préfère les espaces «entre» les lettres auquel il offre un écrin métallique dans Le Monde entre les lettres, une écriture qui se paye le luxe de ne rien signifier, en somme. Et en même temps tout cela est absurde parce que non-conventionnel, mais les renversements auxquels nous sommes invités pourraient tout aussi bien être plausibles. C’est pourquoi on peut avoir envie de sortir de cette exposition en marchant sur les mains, une chaussure en guise de chapeau.
Étienne Pressager
— ENTRE, 2001. Gouache sur papier encadrée. 3 éléments de 82,5 x 41 cm ; 82,5 x 130,4 cm ; 82,5 x 41 cm.
— Les Fées, 2001. 6 gouaches sur papier encadrées : gren-ouille, 85,4 x 148,6 cm., quen-ouille, 43,2 x 122,5 cm., citr-ouille, 38 x 52,3 cm.
— Rapprochements, 1998-2000. 45 aquarelles sur papier, encadrées sous verre (numéro, titre, date). Dimensions variables.
— Le Monde entre les lettres, 2001. Aluminium chromé, dimensions variables.
— Impératifs, 2002. Vidéo, 25’, 53 séquences de 30’’ environ.
— Barbouille, brouille, gribouille, souille, 2002. 4 sérigraphies sur papier.
— Un mot de 26 lettres, 2001. Typographie sur papier.