Présentation
Rédactrice en chef : Isabelle Lelarge
Etc n°82. Être/To Be
«Être/To Be», éditorial d’Eric Chenet
«Ce dossier — Être/To Be — est le fruit d’une passionnante collaboration, aussi fertile qu’harmonieuse, entre Isabelle Lelarge et moi-même. Il est la suite logique de l’intérêt que nous avons manifesté pour les questions identitaires. En effet, examiner l’idée de l’identité, interroger la manière dont elle prend forme, se construit ou s’affirme, ne pouvait s’entendre sans tenir compte un tant soit peu de la connotation essentialiste qui lui est fort souvent rattachée.
Foyer d’interrogations philosophiques, le concept d’Être donne lieu à des interprétations différentes. Si, dans l’Antiquité, cette notion est surtout soumise à des questions reposant sur des idées de l’ordre du permanent, de l’immanent ou encore du transcendant, l’Être, de nos jours, ne s’explique généralement plus en raison de ses fondements et des origines de l’étant. Il est encore moins déduit à partir d’une essence générale a priori. Ainsi, quand, pour Platon, l’être au sens de l’identité ne pouvait se concevoir autrement que de manière immuable, au 20e siècle, la question s’appréhende de façon plutôt empirique. Faisant face au chaos, à la dégénérescence et à l’absurdité du monde, l’être se fragilise, perd de sa superbe. C’est la fin de la raison pure, de l’être absolu et rationnel. À ce scénario, se substitue alors très rapidement un autre concept, de toute évidence beaucoup plus adéquat dans ce contexte d’irrationalité : l’indétermination.
« Où en sommes-nous dans notre quête de vérité et d’identité ? », demande justement Luc Courchesne pour qui, contrairement à Jean-Jacques Rousseau, la nature n’est plus propice à livrer une réponse. De plus, si l’Être n’est plus au centre de l’univers, sa position correspond-elle à des coordonnées indéterminées ? N’en demeure pas moins que, pour bon nombre d’artistes qui figurent dans ce dossier, comme pour Courchesne, le contexte environnemental représente un facteur d’influence non négligeable en ce qui a trait à l’identité. Par exemple, Claude Lévêque nous livre, par exemple, une série d’images dressant un portrait plutôt dépréciatif de la banlieue urbaine. Une zone d’activités commerciales où les commodités en place proposent leurs services au citadin mais où, paradoxalement, l’absence de l’homme se fait cruellement ressentir. Julie Faubert, de son côté, s’intéresse à l’architecture des cloîtres et à leur qualité claustrale dans le sens où elle préserve l’identité de tout dérèglement. Pour les associées de Mousse Architecture de paysage, il s’agit justement de ne pas subir passivement les lieux qui nous environnent mais bien de leur redonner une identité communautaire.
La question de l’Être ne se limite toutefois pas à la seule relation environnementale. Julianne Rose s’intéresse davantage à la manière dont l’identité se construit et dont les médias et la publicité influencent nos désirs et nos choix personnels. Cette réflexion donne lieu à des êtres hybrides, mi-femmes mi-poupées, entraînant de ce fait un questionnement sur la manière dont on se perçoit. Michel Goulet s’attache également à révéler le caractère construit et codifié de l’être. Ces petits fanions agissent comme autant de signes nous rappelant que la capacité d’arbitrage subjectif demeure relative et fondamentalement liée à l’appareil social dans lequel on évolue. Tout aussi conceptuel, mais davantage poétique, le projet d’Irène F. Whittome nous porte à réfléchir sur l’immuabilité identitaire : solide comme un roc en apparence mais, en définitive, labile, incertaine, indéterminable. Comme en ce qui concerne le rapport entre le contexte environnemental et l’identité, la question du rapport à l’autre est également au cœur des préoccupations des artistes. Elise Mougin invite ses modèles à projeter une image négative d’eux-mêmes.
Pour d’autres artistes enfin, l’indétermination identitaire est portée à son paroxysme. D’étranges croisements génétiques, réalisés à l’aide d’un logiciel informatique — dans le cas de Dalia Chauveau — ou d’un simple collage photographique — dans celui d’Andréa Szilasi —, révèlent des êtres carrément fantastiques dont l’identification échappe à tout contrôle.
Indéterminée, incertaine, contingente, l’identité tend de plus en plus à la devenir. Pour cette raison, nous avons invité un grand nombre d’artistes à offrir leur vision, originale à chaque fois, du caractère versatile du processus identitaire. Loin d’en épuiser la matière, nous espérons que ce dossier procurera au lecteur plaisir et réflexion sur un sujet au centre de l’actualité.»
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