Au commencement, deux photographies de l’artiste canadien Jeff Wall tranchent par leur grande clarté avec la détresse se dégageant des sujets. En mettant en boîte les instants tragiques où l’homme se bat pour subsister, il nous pousse à contempler un paysage social désolé, une succession de scènes sur la petite misère quotidienne. Un homme volant l’essence d’une voiture est au cœur de Siphoning Fuel. Dans Pawnshop (Mont de piété) des représentants de la contre culture américaine rendent les armes en mettant en gage ce qui leur reste. La grande force de ces photographies faussement «documentaires», car minutieusement mises en scène, c’est très clairement d’obliger le spectateur à poser un regard nouveau sur la désespérance qui l’entoure.
Autre artiste, autre état de veille. Tim Eitel s’intéresse aux existences repliées sur elles-mêmes. Peintes à partir d’une photographie prise au détour d’une rue, les toiles de l’artiste sont ensuite transformées et interprétées dans la peinture. Le résultat est sobre fait de personnages solitaires sur un fond sombre et flou. Les visages ont la part belle, une constante chez Eitel.
Toujours inclinés, en avant ou en arrière, parfois même de dos. Les yeux sont baissés ou clos. C’est à l’image de ce jeune afro-américain portraituré, tête renversée vers l’arrière, capuche relevée se confondant presque avec le fond obscur du tableau. Il ferme les yeux. Est-il abattu? Soulagé? Absent? On ne saurait dire car avec Eitel les personnages sont en face à face avec eux-mêmes. Ils intériorisent leur vie et la refuse aux spectateurs, préférant les inviter à s’offrir une introspection de leur propre vie.
Il y a aussi l’inquiétude qui pointe, lorsque l’état de veille se fait recherche d’identité dans les sentiers tortueux de la grande histoire. Le premier groupe, le plus primaire, c’est bien entendu la famille. Ainsi, Taryn Simon traite de la généalogie, des générations déchirées et de leur survie. A Living Man Declared Dead and Other Chapters se compose donc de plusieurs chapitres, chacun évoquant différentes ruptures de filiations à travers le monde à la suite d’événements historiques.
Le quatrième chapitre présenté ici met en lumière une famille ayant subi la séparation forcée lors de l’éclatement des deux Corées dans les années 40. Il se compose de trois segments, comme tous les autres.
A gauche, un grand tableau regroupant les portraits photographiques de personnes unies par les liens du sang, au centre des textes synthétiques, presque froids détaillant l’histoire de la lignée.
A droite, des illustrations viennent préciser certains éléments évoqués dans le chapitre. Pas de sentiment, pas de jugement. Taryn Simon est d’une neutralité glaçante. C’est au spectateur, dans sa solitude contemplative de prendre part au désespoir de cette famille brisée.
Cette quête, c’est aussi l’obsession de Clarisse Hahn. Sans relâche, elle poursuit sa réflexion sur l’idée de communauté. Guérilla, installation vidéo en dyptique montre d’un côté des images tournées par les rebelles kurdes du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) à la frontière de l’Irak et de la Turquie. On y découvre leur quotidien fait d’entrainements, de combats, parfois de jeux.
L’autre vidéo placée non en face mais à la perpendiculaire, nous dévoile le quotidien misérable de la communauté kurde de Paris. Deux vidéos pour mettre en lumière la construction vitale d’une identité communautaire, entre idéalisme d’un côté et violence politique et sociale de l’autre.
Au sommet, il y a évidemment l’idée de nation et d’appartenance à un territoire. Comment trouver son identité dans une étendue aussi vaste et disparate qui est celle qui s’étend de l’ancien mur de Berlin à la Grande Muraille de Chine, plus communément appelée Eurasie? Dans ce territoire étrange qui doit digérer son héritage communiste et ses racines musulmanes, histoire et idéologies comprises, le collectif Slaves and Tatars cherche entre sérieux et ironie, une réponse. Dans leur représentation allégorique d’un mollah, une brique faisant office de visage et un épi de blé – symbole du communisme- en guise de turban, ces deux emblèmes forts se retrouvent enfermés dans une sorte d’écrin vitré, tel un joyau. Comme pour montrer que ce patrimoine finalement cohérent doit être digéré mais aussi et, peut être plus important encore, préservé.
Cette méditation s’enrichit aussi des tableaux aux personnages fantomatiques d’Armin Boehm, de l’installation sur le langage et la clandestinité d’Otto Berchem et l’œuvre toujours fantasque, entre rébellion et ségrégation, de Julien Prévieux. Huit réflexions existentielles qui en nous faisant mieux comprendre l’autre, nous permettent de mieux nous connaitre.
Tim Eitel, Untitled, 2012, peinture murale à l’huile, 32x 42 cm.
Tim Eitel, Untitled, 2012 Huile, sur toile, 50 x 50 cm.
Tim Eitel, Hood, 2012, huile sur toile, 50 x 50 cm.
Jeff Wall, Pawnshop, 2008, photographie couleur, 175 x 178 x 5 cm.
Jeff Wall, Siphoning Fuel, 2008, photographie couleur, 193,7 x 242,5 x 5,08 cm.
Taryn Simon, Chapter V (South Korean Abducted by North Korea), 2011, photographies d’archives, 3 éléments, 213,36 x 301,63 cm.
Slavs and Tatars, Wheat Molla, 2011, verre, laiton, épis de blé, brique et Mdf, 45 x 45 x 40 cm.
Otto Berchem, Temporary person passing through, 2005, photographies couleurs, 30 x 40 cm.
Otto Berchem, Temporary person passing through, 2005, néons, dimensions variables.
Julien Prévieux, D’octobre à février, 2010, Pulls en laine, cintres et patères métalliques, 380 x 40 x 180 cm.
Armin Boehm, Roselin, 2011, huile, tissu, papier, métal, poudre sur bois, 47 x 78 cm.
Armin Boehm, Ando San, 2011, Huile, tissu, papier, métal, poudre sur bois, 100 x 110 cm.
Clarisse Hahn, Guérilla; Notre Corps est une arme, 2011, vidéo SD couleur 4:3, 2 écrans de 9 minutes, Langues: Kurde, turc et français sous titres: français et anglais.