Présentation
Frédéric Tachou
Et le sexe entra dans la modernité
Au milieu du XIXe siècle, lorsque des photographes parisiens donnèrent naissance au commerce des photographies «obscènes», ils ne fixèrent pas sur leurs plaques de verre des témoignages documentaires sur ce que la loi prétendait confiner dans la sphère privée, mais mirent en scène leurs modèles pour construire une sorte d’utopie sexuelle. L’utilisation de la photographie, et ensuite du film, imposa ainsi un nouveau paradigme qui inaugura l’ère de la pornographie moderne.
Partant d’une lettre de Paul Eluard adressée à Gala en 1926 dans laquelle le poète raconte avoir vu dans le cinéma pornographique «[…] la passion contre la mort et la bêtise», Frédéric Tachou relève le défi d’une évaluation du phénomène culturel naissant.
En s’appuyant sur l’analyse approfondie de photographies et de films produits entre 1850 et 1950, il propose une approche critique des conditions nouvelles dans lesquelles s’est élaborée une relation aussi inédite qu’originale entre le spectacle et le spectateur. L’auteur gage que le système de signes propre à ces photographies et à ces films qui combine illusion et réalité a permis la mise au point d’un instrument redoutable par lequel les fantasmes sexuels des individus peuvent s’échanger avec une fantasmagorie plus collective. Dans des sociétés aptes à transformer tous les domaines de la vie en marchés, où des qualités se changent en quantités, le monde du fantasme ne peut pas être épargné.
Frédéric Tachou est né à Bordeaux en 1964. Après une formation de plasticien et d’esthéticien, il enseigne les arts plastiques jusqu’en 2000 avant d’entamer une carrière de cinéaste expérimental. Parallèlement à ses activités créatives, il soutient une thèse de doctorat en Esthétique et Sciences de l’art à Paris I où il enseigne l’analyse du cinéma expérimental.
«L’imagerie pornographique mise au point par la photographie «obscène» montre bien une scène absolument dénuée de vie propre et entièrement orientée vers un spectateur à qui elle assigne le rôle d’en être le rêveur-visualisateur, ce en quoi elle trouve sa finalité et sa justification. Elle est essentiellement mystifiante et aliénante. Le spectateur, à moins d’être animé par un sentiment de répulsion ou de dégoût, n’a d’autre choix que de laisser l’image, qui d’une certaine manière le regarde, s’emparer de son imagination et de ses fantasmes.
L’affirmation de la théâtralité et l’élaboration d’une représentation anti-réaliste de l’activité sexuelle ne sont pas incompatibles avec la recherche de certains effets narratifs. Le fait que des séries de photographies «obscènes» déclinent différents moments d’une rencontre, le prouve. En même temps, ce qui est narré ne renvoie pas à un univers fonctionnant suivant des règles identiques à celles du monde réel où la motivation psychologique reste centrale, en dehors bien sûr de toute marchandisation ou commerce amoureux. On aurait plutôt à faire à une série d’images-tableaux tirés d’un découpage cinématique de l’action. L’évacuation de toute motivation psychologique s’explique peut-être par le fait que la dimension utopique dans la photographie «obscène» s’appuie sur le fantasme d’une métamorphose et d’un bouleversement de tout l’ordre existant, c’est-à -dire de ce qui règle et ordonne le désir et sa satisfaction dans la réalité.»
Sommaire
— Remerciements
— Introduction
— Chapitre I. La photographie «obscène», source de la pornographie moderne
— Chapitre II. Hypothèses pour une inscription du cinéma pornographique primitif dans l’histoire
— Chapitre III. Phénoménologie et psychologie du cinéma pornographique primitif
— Chapitre IV. Esquisse pour une critique de l’industrie du fantasme
— Conclusion
— Photographies
— Films
— Ouvrages, essais, études
— Index