Esther Tielemans
Esther Tielemans
Les tableaux d’Esther Tielemans plongent le spectateur dans l’expectative : ce qu’il voit n’est pas certain : s’agit-il de paysages ? Incontestablement, si des feuillages et des plantes composent des sortes de bouquets, il s’avère impossible de les décrire précisément, ou de vouloir identifier des espèces particulières. Leur différence est toute formelle : des couleurs et des surfaces, pour certaines mates pour d’autres brillantes, les laques acryliques ayant bénéficié d’un apport sélectif de résine époxy. Des plans concaves, d’autres convexes, des profils « répliqués » selon une symétrie inspirée du test de Rorschach tranchent sur des zones d’ombre où le reflet renvoyé par les parties vitrifiées du tableau ajoute parfois une touche ironique et produit un effet de désorientation.
La peinture d’Esther Tielemans vise moins l’apparence d’une représentation que la représentation d’une apparence dont il est peu dire qu’elle est trompeuse. La végétation luxuriante est en réalité une composition de motifs décoratifs et l’évocation d’un futur inquiétant comme échafaudé à l’aune des manipulations transgéniques. Ce qui passe a priori pour un paysage paradisiaque n’est finalement rien d’autre qu’untableau- piège jouant sur la séduction des couleurs et des matières pour mieux confondre le spectateur.
Mais en associant un aussi grand nombre d’éléments artificiels, jusqu’à concevoir une installation aux dimensions monumentales, comme celle que l’artiste a réalisée au Van Abbemuseum sur l’invitation de Lily van der Stokker , la conception même du paysage s’élargit. L’artiste fait référence aux paysages grandioses d’Amérique (déserts du Nevada ou du Nouveau-Mexique) où l’homme se retrouve parfois dans une inquiétante solitude face à la « beauté » inoxydable de la nature. Le tableau devient panorama.
Esther Tielemans entraîne le spectateur dans une relation théâtrale à son œuvre : les tableaux sont réalisés sur des panneaux de bois dont certains atteignent la dimension de murs disposés dans l’espace à l’échelle humaine. Le rapport à la nature, au monde extérieur, s’est inversé dans la conception d’un espace intérieur. Certains indices expliquent cette évolution. Au début des années 2000, nombre de ses tableaux étaient inscrits matériellement dans des installations comprenant également divers objets. Ils sont devenus eux-mêmes peu à peu des « tableaux-objets », à la frontière du design, pendant que l’espace représenté ne se réfère plus que lointainement à la réalité d’un paysage. Aujourd’hui, les tableaux d’Esther Tielemans, quelle que soit leur taille, sont dépourvus d’échelle et paraissent flotter en apesanteur. Ils sont l’exact reflet d’un espace mental dont le déploiement ne fait que commencer.