— Auteur : Collectif
— Éditeur : Esse, arts + opinions, Montréal
— Année : 2006
— Format : 23 x 29 cm
— Illustration : Couleur
— Pages : 74
— Langue : français
— ISSN : 0831-859x
— Prix : 12 €
Présentation
Un art sans signature, par Sylvette Babin
Prise au pied de la lettre, la signature est d’abord la mise en forme du nom, cette marque qui nous identifie. Mais le pouvoir qu’on lui attribue est sans commune mesure. Œuvrant en l’absence du signataire, elle en adopte l’identité et se pare d’une autorité législative, administrative ou symbolique. En authentifiant un document ou un objet, la signature confère, en quelque sorte, un droit d’existence. Elle liera même «l’objet d’art» et la personne qui le signe en une relation d’interdépendance où l’oeuvre acquiert une valeur artistique sous la signature de l’artiste, dont l’existence est validée par la reconnaissance de l’œuvre signée.
La signature fait aussi référence à la singularité d’un individu, à la trace symbolique qu’il tente de laisser dans la société. En ce sens, elle est représentée par la production des oeuvres d’un artiste. Mais depuis les avant-gardes, la perception de la notion même de signature s’est considérablement transformée. Des attitudes distinctes sont alors identifiables, allant d’une hypertrophie du sujet ou de son nom, à la remise en question de l’autorité auctorale, jusqu’à des tentatives d’effacement complet de toutes formes de signatures. On a vu celles-ci se déplacer à l’endos des toiles, les oeuvres/objets ont fait place à des dispositifs ou à des expériences esthétiques, des collectifs se sont formés, parfois sous pseudonymes, et le public a été invité à prendre une place plus importante dans le processus de création.
En contrepartie, la célébration de la signature (et la surexposition de soi) a pris des proportions surprenantes tant sur la scène publique qu’artistique. Nous avons vu surgir différentes stratégies d’autopromotion et de médiatisation du nom, l’usage de la signature et du logotype comme sujet de l’oeuvre, la récupération d’outils publicitaires à des fins artistiques, bref, autant de situations où le nom de l’artiste sera «ex-orbité», pour reprendre ici le terme de Marie-Anne Brayer citée en exergue. Critique ou parodie du système capitaliste, cynisme envers la société du spectacle ou simple désir de mettre en place tous les moyens possibles pour accéder à une reconnaissance artistique? Les motivations ne sont peut-être pas aussi tranchées, mais elles semblent néanmoins contredire l’hypothèse de l’avènement d’un art sans signature.
D’ailleurs, l’art peut-il réellement échapper à la signature? Si l’objet s’est transformé en gestes d’art, il n’en reste pas moins que ces mises en situations sont généralement revendiquées par leurs auteurs et deviennent, d’une manière ou d’une autre, des actes signés. Les pratiques dites furtives, les interventions discrètes ou à faible coefficient de visibilité et les actions diffusées à l’extérieur du champ de l’art — par exemple, dans différents espaces urbains, sur les ondes télévisées ou dans le cyberespace, dans les rayons d’une bibliothèque ou même dissimulées au revers d’un vêtement — sont peut-être sans signature pour le public qui les découvre par hasard, mais elles recouvrent leur plein pouvoir d’oeuvre d’art lorsqu’elles sont ensuite identifiées et analysées dans des catalogues, des revues spécialisées ou même dans les documents et conférences des artistes qui les ont voulues anonymes. Certes, l’intention des initiateurs de ces pratiques n’est peut-être pas de concevoir des oeuvres sans signature, mais plutôt de créer, tel que le propose Patrice Loubier, des situations furtives ayant «le pari d’atteindre à une pérennité subreptice».
S’il est une caractéristique que l’on peut attribuer à la signature, c’est bien sa quête de pérennité. Qu’elle devienne le sujet principal d’oeuvres picturales (Paré) ou qu’elle soit camouflée derrière des graffitis et des pochoirs plus ou moins anonymes (Bilodeau, Michelon), qu’elle initie des réflexions sur le statut d’auteur (Rannou) ou qu’elle soit revendiquée dans la pratique de la traduction (Chan-Chu) et du commissariat d’exposition (Ninacs, Glicenstein), la signature semble toujours vouloir imposer sa présence. C’est peut-être d’ailleurs le constat que nous pourrions faire à la lecture de ce dossier qui traite moins de pratiques où la signature tend à disparaître que d’œuvres et de disciplines cherchant à la mettre en évidence.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Esse, arts + opinions — Tous droits réservés)
Traducciòn española : Maï;té Diaz
English translation : Nicola Taylor