Fruit d’un jumelage avec le collectif marseillais Buy-Sellf Art Club, l’exposition Espèces d’hybrides emprunte son titre à une série dans laquelle elle s’inscrit. Le terme zoologique pourrait s’entendre comme un concept esthétique applicable aux zèbres camouflés dans la précédente exposition de Lina Jabour, ou bien à la limule tunée de Samir Mougas qui inaugurait le nouvel espace de 40mcube au printemps dernier. Plus encore, l’hybridité est un caractère des Å“uvres exposées depuis plusieurs années, et même un critère de goût qui profite à l’identité du lieu.
Comme dans les meubles de Briac Leprêtre ou les sculptures de Sylvie Réno — deux artistes soutenus de longue date par 40mcube —, les œuvres exposées ici jouent à contredire la forme par la matière: bille de bois en polystyrène (Guillaume Poulain), arbre en tuyau d’arrosage (Laurent Perbos), rocher en carlène (Guillaume Constantin). Mais la pauvreté des matériaux et leur référence directe à la construction industrielle décrivent un paysage dénaturé puis laissé à l’abandon: le biotope du terrain vague.
L’exposition se fait décor, celui d’un no man’s land, d’un non lieu par définition, un espace ne figurant pas sur la carte, oublié de la planification urbaine, sous aucune autorité, hors contrôle, en somme un territoire de tous les possibles.
La mise en scène, sous ses faux airs formalistes, dans un presque white cube, découvre son pouvoir fictionnel quand interviennent ceux qui ont laissé la trace d’une liberté d’expression gagnée sur le terrain de la surveillance généralisée. Ils sont venus graver des messages personnels sur les cactus du jardin botanique photographiés par Aurore Valade (Sempervium Decorum), fendre et taguer le rocher qui empêche communément les caravanes de stationner (Don’t Let the Light Escape de Guillaume Constantin et Shuck2). L’identitaire et l’intime viennent se superposer comme un acte de résistance à la classification (du jardin botanique) et au parcage (des gens du voyage).
Mine de rien, les matériaux eux-mêmes, ces rebus des grands projets d’habitation, ne se sont pas résignés à attendre leur sort. La goutte de l’Arbre qui pleure de Laurent Perbos serait-elle la rosée d’une aurore réinventée plutôt qu’une larme de mélancolie? Tandis que l’eau circule de nouveau dans le tuyau d’arrosage comme le sang dans les veines ou la sève dans le tronc, les Concrete Stones de Vincent Ganivet s’animent de vibrants soubresauts. Le paysage mutant semble prendre vie entre cet arbre de caoutchouc multicolore et ces carapaces en béton armé: une volonté de puissance sommeille dans chaque particule synthétique annonçant la révolte des déchets.
Mauvais scénario écologiste mis à part, l’exposition elle-même révèle là sa tactique de la feinte: elle aussi joue les faux prétendants en mimant le «display» d’une galerie d’art ou, sous un autre angle, le décor multicolore d’un théâtre enchanteur… Et si les amas caillouteux de Vincent Gavinet, qui, dans un coin, endommagent consciemment le sol de la galerie, nous chuchotaient qu’une œuvre d’art n’est pas inoffensive ?
Liste des œuvres
— Guillaume Constantin, Don’t Let the Light Escape, 2007. Carlène, Graphiti de Shuck2. 400 x 150 x 140 cm.
— Vincent Ganivet, Concrete Stones, 2005. Béton armé, moteur.
— Laurent Perbos, L’Arbre qui pleure, 2009. Tuyaux d’arrosage en PVC.
— Guillaume Poulain, Bille, 2005. Polystyrène, rails en aluminium. 250 x 110 x 110 cm.
— Aurore Valade, série Sepervivum Decorum, 2007. Huit photos tirages lambda. 80 x 65 cm.