Quel rôle joue l’Espace culturel par rapport à l’entreprise Louis Vuitton?
Marie-Ange Moulonguet. Il est important de noter que l’Espace culturel n’est ni une fondation, ni une galerie d’art contemporain. A l’origine, il était plutôt expérimental et voué à raconter les différentes histoires de la marque Louis Vuitton. Situé au-dessus de la Maison des Champs-Elysées, il dispose de deux accès: l’un par l’atrium de la Maison, l’autre par la rue Bassano. Beaucoup de gens viennent dans l’Espace sans savoir qu’ils sont chez Louis Vuitton. Au fil du temps et de la proximité qu’ils développent avec le lieu, ils prennent conscience de l’importance que la marque donne à l’art. Dans la Maison, il y a beaucoup d’œuvres, notamment un magnifique James Turrell.
L’Espace culturel n’est donc pas un simple point d’orgue. L’intérêt que la marque porte à l’art est une histoire ancienne, qui remonte aux années 1860, avec la trilogie Louis, Gaston et Georges Vuitton. Déjà passionnés d’art contemporain, ils faisaient travailler des créateurs. J’estime qu’ils étaient des hommes en avance sur leur temps et aussi des artistes — ils ont inventé la malle à fond plat et la toile Monogram. Le patrimoine historique de Louis Vuitton est important. Il fait actuellement l’objet d’une exposition au musée Carnavalet.
Pour vous démarquer des autres espaces culturels qui existent dans le monde de l’entreprise, quelle ligne artistique défendez-vous?
Marie-Ange Moulonguet. Peu à peu, nous avons choisi le thème du voyage, au long cours et lointain. Nous souhaitons mettre en lumière des artistes qui ne sont pas encore connus en Europe, issus de scènes artistiques émergentes et qui ne font pas encore partie du marché. Nous avons exposé des artistes indiens, russes, coréens, chiliens, irakiens, chinois, etc. Nous estimons sans arrogance que nous avons une histoire à écrire.
Nous avons la chance de pouvoir accueillir les artistes avec des moyens importants. Nous essayons de créer une vraie relation avec eux et de les aider à trouver des galeries. Cela fait très plaisir de les retrouver aujourd’hui dans des galeries parisiennes, comme c’est le cas pour le russe Alexander Brodsky, pour la coréenne Sookyung Yee, pour le chilien Alvaro Oyarzun. L’irakien Adel Abidin est lui aussi en train de faire carrière. Nous sommes enchantés de voir que le regard que nous avons pu porter sur tel ou tel artiste a été vu et peut-être apprécié.
C’est la même chose pour la scène artistique indienne que nous avions exposée il y a cinq ans. Avec le commissaire d’exposition Hervé Mickaeloff, j’avais rencontré l’artiste indien Subodh Gupta. Il n’y avait eu en France qu’un seul précédent, l’exposition «Indian Summer» au Musée des Beaux-Arts de Paris.
L’Espace culturel n’a pas uniquement vocation à explorer le monde. Rien n’est innocent quand nous choisissons des pays comme la Corée, le Chili, l’Orient… Notre problématique est axée sur des pays en guerre, secoués par l’histoire ou en péril. Avec l’exposition «Orient sans frontières», qui retraçait la Route de la soie de Beyrouth à Pékin, nous étions partis de la «Croisière jaune», une mission automobile menée en 1903 par Citroën dont les voitures étaient équipées de bagages Louis Vuitton. Le parcours consistait à aller de Beyrouth à Pékin, en s’arrêtant à chaque étape, notamment en Syrie, en Iran, en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, en Chine. Qu’est-ce que cela signifie être artiste dans ces pays-là ? Où les artistes puisent-ils leur inspiration? Sont-ils écrasés par l’Histoire? Choisissent-ils de quitter leur pays? Toutes ces questions nous intéressent.
L’Espace culturel ne s’interdit pas de travailler avec des artistes plus proches de nous et qui proposent un voyage immobile, intérieur. On peut voyager dans l’horizon, comme l’a proposé Odile Decq. On peut voyager dans l’acculturation avec les œuvres de Camille Henrot. On peut voyager dans la confusion des sens, avec l’ascenseur d’Olafur Eliasson qui propose une ascension de 13 secondes dans l’obscurité. Le thème du voyage est infini.
Je perçois l’espace culturel comme un laboratoire, où explorer des scènes émergentes, où expérimenter des événements (comme les fameuses «Conversations») et des activités de médiation. Nous avons lancé un I-pad pour le jeune public par exemple.
L’Espace culturel a-t-il pour vocation de produire ou d’acquérir des œuvres?
Marie-Ange Moulonguet. Au départ, l’Espace n’avait pas vocation à produire des œuvres. Nous les empruntions dans les galeries et auprès des artistes. Très vite, est venue la tentation de les aider et de les accompagner dans la production de leurs œuvres. Pour l’exposition des artistes russes, nous les avions invités à venir créer directement dans l’Espace pendant quinze jours. A l’époque, c’était assez périlleux! Nous avions cohabité avec eux et vu le travail se faire sous nos yeux. C’était étonnant! Louis Vuitton peut acheter des œuvres pour son propre patrimoine. C’est ce qui se passe actuellement avec la Fondation Louis Vuitton pour la Création.
Quels sont les prochaines expositions prévues à l’Espace culturel?
Marie-Ange Moulonguet. En février, l’exposition «Ailleurs» explorera la problématique de l’expédition, avec des œuvres qui sont le résultat d’expériences, notamment au Pôle Nord. Il y aura dix-huit artistes, dont trois historiques. Avec le commissaire d’exposition Paul Ardenne, il nous est apparu qu’un des artistes les plus signifiants dans cette problématique est Paul Gauguin. Pour nous, c’est le modèle de l’ailleurs. Ensuite, nous consacrerons une exposition à l’Indonésie,«Trans-figuration indonésienne».