Une série de One Minute Sculpture(s) , dans leur état photographique, ouvre l’exposition. Sur chacune des quarante-huit images, un performer, complaisant et appliqué, se livre à une action pour le moins déconcertante de gratuité et de non-sens, tel que caler des cornichons entre ses doigts de pieds, se boucher les narines avec des asperges, ou bien se jucher, dans un équilibre que l’on devine instable, et inconfortable, sur un balais debout, et renversé. Cette entrée en matière donne le ton, elle annonce une réjouissante enfilade de postures et de propositions, qui disputent à l’absurde, au grotesque, et au dérisoire, jusqu’à déclencher un rire irrépressible.
Le véritable bonheur vient de ce que ce rire participe de la jubilation intellectuelle que met en branle cette œuvre insaisissable, et, pour de la sculpture, curieusement inconsistante ou, plus exactement, instable. Tous ses états en sont ici exhibés, sans qu’aucun ne soit privilégié. A l’instar de la température pour la matière, le temps en est un facteur déterminant de variabilité, selon trois axes de fuite qui se superposent, se raccordent, divergent ou s’enroulent sur eux-mêmes : 1° le temps du processus, discontinu et indéterminé, qui court du concept à l’image ; 2° le temps, limité dans les deux sens, ni trop long ni trop court, de la performance en tant que sculpture éphémère ; 3° le temps, enfin, de la conservation, de l’archive, idéalement illimité.
Au carrefour de l’art minimal et de la performance, les matériaux sont rudimentaires : le corps des performers — des proches ou des rencontres de hasard, éventuellement l’artiste lui-même —, les objets les plus pauvres de la sphère domestique, et les décors les plus ordinaires du quotidien. La vidéographie et la photographie, deux supports naturellement privilégiés au Centre national de la photographie, retiennent les performances, animées ou non, sous forme d’instantanés, d’arrêts sur image, ou de blocs d’images mouvantes. Chacun des agencements chaotiques, ou des postures incongrues, doit être tenu pendant un temps, court, mais suffisant, une minute par exemple, pour être vu, avéré, et enregistré.
A l’évidence, au-delà de sa fonction d’archive, de reste, voire de produit dérivé, la photographie participe aussi à la mise en forme de l’œuvre. Des perspectives cavalières saisissent la précarité des équilibres, des points de vues décalés amputent les corps (un bloc de pierre sur deux jambes humaines), des cadres concentrent l’effet sur le lieu clef de la performance (les chaussures au bout desquelles des stylos tiennent debout sur leur capuchon), ou en renforcent l’aspect grotesque (un cadre serré sur un postérieur surplombé d’un rouleau de papier hygiénique dévidé).
Dans un curieux renversement de l’ordre des choses, ce sont les objets, par ailleurs doués d’une vie propre (L’Autre, 2001-2002), qui décident de l’attraction troublante des corps, qui les malmènent, et leur imposent des contorsions inconfortables, à la limite de la douleur, voire de la prise de risque. Le burlesque bascule dans la tragédie avec ces corps disloqués, écrasés sur la chaussée, sous le poids de pastèques, ou de meubles, tombés on ne sait d’où. Une théâtralité qui bouleverse, et interroge, le rapport des corps à l’environnement, aux autres et à soi-même.
Dans le même temps, Erwin Wurm démantibule systématiquement la mythique autonomie de l’art, en en défaisant les membres (les actes), et en laissant la vie, on ne peut plus quotidienne, commune et universelle (de Cahors à Taipei), s’y engouffrer joyeusement. En lieu et place de l’œuvre, dirait-on. Dans les salles du Centre national de la photographie, elle est comme en creux, dans une perpétuelle absence, entre idée et après-coup. A l’instar de ces vitrines vides, où ne sont visibles que des dépôts (artificiels) de poussière, marqués de l’empreinte d’un objet soustrait au regard : des vitrines où s’expose l’absence même.
Ces œuvres sont d’autant plus perturbantes dans leur insaisissabilité qu’elles sont réitérables à l’infini. La deuxième salle de l’exposition propose ainsi les instructions écrites et les accessoires nécessaires au spectateur pour se transformer à son tour en performer de sculpture-minute, que le gardien de la salle enregistrera sur un Polaroïd, à envoyer à l’artiste qui promet de le retourner signé, moyennant 100 euros. La notion même de reproduction, qui suppose un original, est remisée au vocabulaire plastique de l’art du XXe siècle. Il s’agit ici d’un art réactivable : l’artiste produit et propose l’idée, la marche à suivre, sous forme de croquis, de modèles photographiques, ou de vidéo mode d’emploi, et le spectateur-opérateur actualise et décline. Outre cette mise à mal des règles du marché de l’art qui réclame originalité et rareté, l’œuvre de Wurm est d’autant plus subversive qu’elle dévide à longueur d’images des apparences de gratuité, d’oisiveté, d’improductivité, jusqu’à intégrer l’échec comme l’une de ces modalités, dans un monde, on le sait, où la performativité fait loi.
Soit une œuvre qui, sur le mode mineur du ridicule, se satisfait avec malice de saisir le monde par le petit bout de la lorgnette, pour une désopilante mise en doute de sa bonne marche.
— Curator Imperator n°3, 2002.
— One Minute Sculpture, 1997-1998. Série de 48 photos couleur.
— Indoor Sculpture, 2001. 3 photos couleur grand format.
— Outdoor Sculpture, Taipei, 2000. 4 photos couleur grand format.
— Outdoor Sculpture, Cahors, 1999. 4 photos couleur grand format.
— Outdoor Sculpture, Appenzell, 1998. 4 photos couleur grand format.
— Si vous souhaitez avoir une Å“uvre originale de Erwin Wurm…, 2002. Instructions, croquis, accessoires, appareil Polaroïd, pour 13 propositions de sculptures.
— Sculpture pull-overs, 1989-2002. 6 pulls mis en forme, posés au mur par des tablettes, et un manuel.
— Sans titre, sculpture de poussière, 1989. Socle, vitrine cubique, dépôt de poussière.
— Sans titre, sculpture de poussière, 1989. Socle, vitrine parallélépipédique, dépôt de poussière.
— One Minute Sculpture, 1997. Vidéo, 47 mn.
— L’homme qui a tenu un bol au-dessus de sa tête pendant deux ans, partie 1, automne/hiver, 2001. Vidéo, 13 mn.
— Fixe I, 1997. Vidéo, 4 mn.
— Fixe II, 1994. Vidéo, 8 mn 10 s.
— 59 positions, 1992. Vidéo, 20 mn.
— Les Courses, 1995-1996. Vidéo, 26 mn 12 s.
— L’Autre, 2001-2002. Vidéo, 6 mn 33 s.
— Double, 1993. 5 d’une série de 28 photogrammes de vidéo.
— Sans titre, 1990. Bois, manteau.
— Sculpture, 1990. Bois, pantalon.
— Sans titre, 1995. Bois, manteau.
— Sans titre, 1990. Bois, chemise.
— Sans titre, 1988. Bois, manteau noir.
— Sans titre, 1990. Bois, manteau.
— Sans titre, 1990. Bois, tee-shirt.
— Sans titre, 1989. Bois, pantalon.
— Sans titre, 1990. Bois, tee-shirt.
— Chambre d’hôtel (Christ Church, NZ), 2001. Photo couleur grand format.
— Chambre d’hôtel (Picton, NZ), 2001. Photo couleur grand format.
— Chambre d’hôtel (Erwin Wurm), 2001. Photo couleur grand format.
— Chambre d’hôtel (Rotorua, NZ), 2001. Photo couleur grand format.
— Chambre d’hôtel (Samoa), 2001. Photo couleur grand format.
— Chambre d’hôtel (Rotorua, NZ), 2001. Photo couleur grand format.
— Instructions pour être oisif, 2001. Série de 21 œuvres. Photos couleur avec texte en défonce.
— En pensant à Kant / en pensant à Montaigne, 1999. Diptyque. 2 x l’assemblage de 16 photos couleur.
— Indoor Sculpture, 1999. Assemblage de 16 photos couleur.
— Le Voisin, 2001. Vidéo, 6 mn 22 s.