Joris Van de Moortel
Erratum musicale for 3 guitars and a metronome
Quand Joris van de Moortel fait une résidence, il assiège son studio pour en faire un Merz-Bau en reconstruisant dans l’espace de travail un atelier temporaire, telle une plateforme où il exerce avec et dedans toutes sortes d’activités. Par la suite, il présente cet espace mis en scène comme une exposition, puis à la fin, il dissocie voire découpe cette «architecture-installation-objet» en différents éléments pour les transporter ailleurs. Cela peut comprendre bien sur de «vraies œuvres» réalisées sur place, mais aussi les murs ou la porte et la fenêtre de l’atelier qu’il redéfinit ainsi comme des éléments sculpturaux. Par la suite, l’artiste dispose ces portions d’atelier ou d’autres éléments résiduels dans d’autres espaces d’expositions, où ils se transforment en autant d’œuvres à forte charge formelle.
En avant première de cette exposition, Joris van de Moortel à réalisé une pièce monumentale qui fut présentée lors de «Pearls of the North» (présentation collective d’artistes du Benelux promus par des galeries).
A cette occasion, l’artiste a proposé de construire un atelier perché sur des tréteaux monumentaux, comme une scène musicale entourée de murs borgnes, dans laquelle il avait l’intention de travailler pendant 48 heures non stop. Le résultat formel était un grand cube blanc de 4x4x4 mètres, duquel ressortait un son de guitare, sorte de réminiscence de la présence de l’artiste. Cette musique vibratoire pouvait attirer le visiteur vers une minuscule fenêtre en hauteur par laquelle il pouvait percevoir un joyeux «bordel», traces d’activité créatrice, mélangeant accessoires et instruments musicaux, matériaux de peintre avec des éléments d’ordre picturaux ou sculpturaux plus achevés.
Sur le côté, l’artiste a défoncé le mur pour créer un trou par lequel lui-même s’était introduit dans l’habitacle, une chaise était posée à l’envers sur le rebord, celle-ci lui ayant servi à y grimper. Dans ce deuxième temps elle devenait ainsi une sorte de fragile barrière visuelle interdisant un accès total à cet espace réservé. De cette percée, une autre perspective s’ouvrait pourtant, et donnait à voir d’autres éléments de l’intérieur tels des fragments d’une pensée en mouvement.
Ce genre d’expérience plastique rejoint d’autres performances que Joris van de Moortel engage lors de vernissages ou d’happening-concerts avec d’autres musiciens qui se prêtent à des jeux de «massacre» ou de recouvrement que l’artiste provoque pendant le spectacle. Par exemple, les intervenants revêtus de combinaisons et de masques jouent sur une sorte de scène tandis qu’ils se font recouvrir entièrement de peinture projetée. Par la suite, cette scène devient l’œuvre, résiduel incongru nous étonnant pourtant par sa forte résonnance formelle.
Lors d’un autre «concert», les musiciens «cuisinent» et jouent dans le même temps. Au final, les instruments de musique sont recouverts de matière gluante et colorée (ce qui n’est pas sans rappeler l’attitude provocatrice d’un Mike Kelley, en un peu moins gore toutefois). Les pièces qui en résultent sont pourtant souvent belles car l’artiste les remet en scène ou plutôt en sculpture, les «soclant» en quelque sorte, leur octroyant ainsi un statut d’œuvre par ce déplacement conceptuel. Il s’agit donc bien de cuisine, d’adjonction de différents éléments musicaux et sculpturaux mais aussi d’une posture radicale qui, si elle est provocatrice et iconoclaste, porte également allégeance à l’art en transformant le tout en autant de trophées conceptuels.
Dans d’autres pièces, le musical n’est pas autant «déconstruit». Au contraire, l’importance de la musique dans la démarche est souvent magnifiée par la forme plastique, au-delà même des disques vinyles que l’artiste, également musicien, peut éditer à compte d’auteur. En l’occurrence, l’artiste présente une batterie «muséalisée» dans une sorte de boîte-vitrine de style minimal qui glorifiait la citation plastique et musicale. Sorte de postulat artistique, cette pièce pourtant de jeunesse est très affirmée tant dans la forme que dans les références qu’elle implique. Par la suite, il en a fait d’autres versions plus «trash» où le cube-vitrine et/ou, le verre sont partiellement défoncés, ce qui n’est pas sans rappeler le geste ravageur de Steven Parrino, qui pratiquait la peinture tout en la détruisant à coups de masse. Pour lui aussi, symptomatiquement, son geste était souvent accompagné d’une performance musicale agressive.
La démarche de Joris van de Mortel tient elle aussi de cette obédience iconoclaste et d’une tendance minimale déconstruite, contenant du radical, du rock voir du punk et du trash. Pourtant, quand on regarde ses œuvres, il n’y a pas la sensation d’un acte désenchanté à la Parrino. Elles le seraient sûrement si son travail n’était empreint de détournement et d’humour ce qui, par un renversement poétique, le rapproche des postures de Marcel Duchamp et de Marcel Broodthaers.
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Marie-Jeanne Caprasse sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Précipités & Erratum musicale