Parme, jaunes ou noires, des surfaces colorées recouvrent les cimaises du rez-de-chaussée de la galerie Nelson-Freeman. Géométriques, ces plans sont distribués de manière irrégulière sur les murs. Ça et là , un carré, un rectangle, un bandeau au ras du sol. Les rapports entre chacune de ces formes, couleurs et dimensions reconfigurent l’espace: les murs s’étirent ou rétrécissent en fonction de l’ensemble de ces paramètres. Alors que la proximité de trois grandes surfaces de couleur ocre, noire et or resserre l’espace sur lui-même, la distance qui sépare un important rectangle argenté d’un petit rectangle brun agrandit la surface du mur. La perception de l’espace est donc modulée par de savants calculs.
Il arrive qu’un rectangle, placé au ras du sol ou au milieu d’un mur, fasse penser à une porte ou à une fenêtre. Les cimaises semblent alors ouvrir sur un autre espace. Mais, exclusivement abstraites, ces surfaces ne jouent pas à plein l’effet d’optique: elles sont de «faux» trompe-l’œil. L’abstraction, c’est-à -dire le privilège accordé aux propriétés matérielles — couleurs, dimensions, etc. — domine. De fait, bien qu’un jeu puisse s’établir entre illusion et abstraction, l’essentiel n’est pas de déchiffrer des formes, mais d’éprouver un espace sensible.
Ténue, la tension entre abstraction et figuration n’est pas pour autant innocente. Pencher entre ces deux termes revient à balancer entre la sensation et l’intellect, entre un rapport sensible et intellectuel au monde. L’ambivalence des surfaces colorées suggère donc une certaine conception de l’espace. Celui-ci n’est pas seulement un espace objectif, fait de données observables et analysables par la raison, mais un espace qui, éprouvé par le corps, est aussi subjectif.
De même qu’une distinction peut être faite entre le temps objectif, quantifiable, et la durée, c’est-à -dire le temps vécu, qualifiable, une séparation peut être établie entre espace objectif, appréhendable par la raison, et espace subjectif, vécu et ressenti.
Si l’espace objectif est recouvert par une géographie affective, l’ambition de l’architecte est de concevoir des espaces à éprouver davantage qu’à rationaliser. L’idéal étant de transformer des données rationnelles — dimensions, proportions, etc.—, en données sensibles. C’est ce que nous rappelle l’intervention d’Ernst Caramelle au rez-de-chaussée, mais aussi ses dessins et ses aquarelles exposés au premier étage de la galerie.Â
Dans chacune de ces œuvres des relevés d’architecture se perdent au milieu de taches colorées. Par la même occasion, l’activité de déchiffrement cède la place à une appréhension affective. Ainsi, l’architecture est à nouveau pensée comme créatrice d’espaces sensibles.
Plus que de reconfigurer la galerie en une géographie affective, les créations d’Ernst Caramelle sont des manifestes d’architecture.
Ernst Caramelle
— Sans titre (wall drawing), 2009. Pigments sur mur. Dimensions variables.
— Untitled, 2006. Aquarelle et crayon bille sur papier. 21,6 x 28 cm.
— Schwer vermittelbares Bewusstsein, 2001. Aquarelle sur papier. 14,5 x 20,9 cm.
— The inside of the drawing, 2000. Watercolor and pencil on paper. 53.2 x 45.2 cm encadré
— Untitled, 2004. Watercolor, ink, pencil on photocopy. 43.2 x 51.9 cm encadréÂ
— Untitled, 2003. Sun on paper. 48.8 x 48.8 cm encadré
— Semi-realistic study for wallpainting (with fingerprint), 2007, watercolor on paper. 40,2 x 48,2 cm
— White space ahead, 2008. Watercolor on paper. 40.1 x 48.1 cm encadré